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dit un témoin, « son sourire de toujours, ce sourire qui lui ouvrait les cœurs. »

La situation était tragique. Les Allemands, par un coup d’une rudesse inédite, avaient frappé le front allié au point faible, à la jonction des armées française et britannique, et obtenu une large rupture. Ludendorff précipitait trois armées par cette brèche : une masse d’un million d’hommes tentait de s’y engouffrer, de rejeter la droite des Anglais à la mer et de culbuter notre gauche dans la vallée de l’Oise. Depuis trois jours, le corps . Pellé soutenait presque seul des combats héroïques, couvrait la route de Paris [1]. Les Allemands ayant trouvé le défaut de la cuirasse, cherchaient par cet hiatus entre les deux armées le cœur de la France. Ce jour-là, dans une scène historique, à Doullens, les chefs de la France et de l’Angleterre remettaient à Foch le commandement de leurs forces disjointes et lui confiaient à ressouder les tronçons de l’arme brisée.

Que sait, que devine la troupe de ces événements immenses ? Elle sait du moins parfaitement quand ça va mal. C’est dans ces moments-là que le Français vaut tout son prix : il faut improviser, suppléer à tout par de l’audace : on sort de l’ornière et de la routine, on invente, on peint dans le frais. La confiance française court presque gaiement dans ces bagarres. Elle se double de colère et s’excite d’un défi. Clermont-Tonnerre ne perd pas un instant son admirable sérénité. Il mesure mieux que ne font ses hommes, l’amplitude du revers et l’étendue de la menace ; il n’a pas un instant de faiblesse, de reproche ou de doute. « J’ai une foi entière dans le succès final, déclarait-il au Père Joyeux, l’aumônier des zouaves, dont nous ne faisons guère ici que reproduire le récit, et peu m’importent les fluctuations de la bataille. » Il en arrivait presque, à force de détachement, à considérer comme des phénomènes indifférents les péripéties de l’immense drame. Quant à lui, sa personne ne comptait plus : que lui faisait le déploiement prodigieux de la force allemande ? Que lui faisait le péril ? « Quand on a la conscience tranquille et que l’on est prêt à voir la mort, ajoutait-il, ce n’est pas le Boche qui vous fait peur. »

Le lieutenant-colonel Besson avait rejoint d’urgence le régiment

  1. Voir Henry Bordeaux : le Plessis-de-Roye, dans la Revue des 1er et 15 janvier et 1er février.