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Il faudra chercher là les traits de quelques-uns des écrivains de notre temps, M. René Boylesve y figure, si je ne me trompe, et déjà tel que nous venons de le revoir après vingt-deux ans.

Chaque séance de l’Académie a son public. L’appareil guerrier des uniformes avait cette fois presque disparu. Les chapeaux des femmes se coloraient déjà de quelques plumes bleues, ou d’un peu de rose, juste ce qui convient à l’œuvre d’un romancier sensible et mélancolique. Quelques colliers de perles brillaient, sous le jour froid d’une blancheur somptueuse. Les perles sont dans les rêves le signe des larmes : on les voyait, parmi les robes noires et les fourrures sombres, comme les larmes versées sur Mon Amour. Il y avait parmi les invités quelques écrivains. Enfin on eût dit que la littérature était ramenée par la paix. Mais ce public n’était pas moins sensible aux événements de la guerre. Quand le maréchal Joffre entra, et s’en vint prendre place entre M. Bazin et M. Doumic, ce fut une longue ovation. Les applaudissements se répétèrent quand, à la fin de son discours, M. Boylesve évoqua la bataille de la Marne. Le vainqueur de cette grande lutte a gardé toute sa popularité.

Voici M. Boylesve debout, à la place traditionnelle du récipiendaire, entre M. Donnay et M. Capus. La lumière tombe à plein sur son crâne d’une nudité monastique. Sous ces plans et sous ces arêtes, on devine les yeux profonds. Un nez vigoureux jaillit de là et le reste de la figure se perd dans la barbe noire. L’habit est fermé et coupé comme une soutane. On voit briller la poignée de l’épée sur le devant de la ceinture. M. Boylesve tient à deux mains le texte de son discours déployé devant lui. Il lit, les yeux fixés sur les pages, sans gestes. La voix est profonde, et descend, de proposition en proposition, pour achever chaque phrase au fond d’un creux. Elle reprend plus haut la phrase suivante et la fait aussi redescendre comme par des degrés. L’orateur lit lentement, distinctement, également, d’un bon ton de carême.

Il fait l’éloge de son prédécesseur, M. Mézières, qui fut un homme d’étude, un journaliste de doctrine, un chroniqueur moraliste, un sénateur patriote et le président vénéré d’une quantité d’associations. Toute la première partie du discours est consacrée au mort. C’est d’abord un joli croquis de Mézières en 1848, encore élève de l’École normale, mais portant l’uniforme militaire, avec une ceinture tricolore et un sabre de cavalerie, montant à cheval et défendant l’Hôtel de Ville. Puis, c’est le tableau de la vie universitaire en ce temps-là, avec sa fierté, son désintéressement, son culte des idées, son mépris