Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/814

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ses qualités intellectuelles et morales rayonnaient à travers un physique séduisant. Avec son front immense, ses longs cheveux roux, ses yeux fascinateurs, il était beau, aimable, généreux, fort en escrime, parfait cavalier. Il maniait l’épée aussi adroitement que le pinceau et l’ébauchoir. Sa parole persuadait par la raison et s’insinuait par la grâce. Son aspect chassait toute mélancolie. Lo splendor dell’ aria sua, che bellissima era, rasserenava ogni animo mesto. Sa vigueur physique égalait son intelligence. Il arrêtait par la bride un cheval en plein galop, et cette main, qui pouvait tordre le battant d’une cloche, savait aussi bien faire frémir les cordes d’une cithare, caresser une peau délicate, ou se jouer dans une chevelure avec une douceur infinie. Il adorait les chevaux et les oiseaux.

Quant à ceux-ci, il n’aimait pas les voir captifs. Il allait parfois chez les oiseleurs du Ponte della Caraïa, acheter des colombes. Il les cueillait lui-même dans la cage, les posait sur la paume de sa main et les regardait prendre leur vol au-dessus de l’Arno. Quand, elles avaient disparu, on le voyait souvent devenir pensif pendant une longue minute, les yeux perdus à l’horizon. Rêvait-il déjà à l’aviation, qui devait être l’un de ses tourments ? On le trouvait somptueux et bizarre, mais on ne résistait pas à son charme. Souvent, absorbé par ses flâneries et ses pensées, il laissait ses esquisses, ses portraits, ses fantaisies courir les ateliers et les palais. Il les vendait quand il avait besoin d’argent, mais le plus souvent il les donnait à ses amis et n’y pensait plus. Pour mesurer l’empire de Léonard sur ses contemporains, relisons le début de sa biographie par Vasari. L’auteur des Vies des peintres n’a pas dit d’aussi belles choses de son maître Michel-Ange, pour lequel cependant il professait une admiration extrême. Cela donne du poids aux éloges qu’il prodigue à son grand rival et en garantit la sincérité. « On voit les plus grands dons pleuvoir par influences célestes dans les corps humains, le plus souvent de façon naturelle et quelquefois de façon surnaturelle ; on voit se ramasser sans mesure en un seul corps la beauté, la grâce et le talent, et cela à tel point que, de quelque côté que se tourne cet homme, chacune de ses actions est si divine que, laissant en arrière tous les autres hommes, il fait connaître par évidence qu’il agit par un don de Dieu et non par un effort de l’art humain. C’est là ce que virent les hommes en Léonard de