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tableaux après avoir lu ses pensées, on est frappé de l’antithèse entre sa conception scientifique de la nature et les visions spirituelles dont témoignent ses chefs-d’œuvre. Cette antithèse tient au dualisme inhérent à sa nature intime.

Marquons bien cette différence essentielle entre les trois Archanges de la Renaissance italienne et le Roi-Mage qui fut leur introducteur.

Malgré leur goût passionné pour la nature, l’antiquité et la vie, les grands artistes susnommés, lecteurs assidus de la Bible et de Platon, vivaient encore par l’âme comme par la pensée dans la tradition mystique du moyen âge, pour laquelle la nature, la création du monde et la rédemption de l’humanité ne s’expliquaient que par l’Ancien et le Nouveau Testament, par le Dieu de Moïse et par l’incarnation du Verbe divin en la personne de Jésus-Christ. — Pour Léonard, au contraire, la nature visible et l’humanité vivante étaient les objets exclusifs de sa curiosité. Par suite, il avait adopté la science pour guide unique. Nous avons vu qu’un instinct fatidique, un élan prédestiné l’avait lié à cette maîtresse austère et impérieuse par un serment solennel. Aussi, dans ses carnets qui contiennent une véritable philosophie de la nature, de la morale et de l’art, ne reconnaît-il que deux principes : la nécessité absolue des lois naturelles et l’expérience, comme sources uniques de la connaissance. En dépit de cette méthode, les nécessités de son art et aussi une nostalgie secrète le ramenaient sans cesse aux sujets religieux. Il y a plus. On trouve dans ses notes un passage où l’observateur aigu et le logicien intrépide se heurtent à la porte d’un autre monde. Après s’être extasié devant l’art infaillible de la nature dans ses créations, le penseur s’écrie : « Rien de plus beau, de plus facile, de plus rapide que la nature. Rien ne manque à ses inventions et rien n’y est superflu. Elle n’use pas de contrepoids pour construire les membres aptes à former le corps des animaux, mais elle y infuse Came qui règle leurs mouvements. Quant au reste de la définition de l’âme, je la laisse aux moines, ces pères des peuples, lesquels par inspiration savent tous les secrets. Je laisse de côté les Écritures sacrées parce qu’elles sont la vérité suprême. » L’ironie contre les moines ignorants saule aux yeux, mais la vénération pour le texte biblique est sans doute sincère. En somme, le Vinci écarte la théologie de ses spéculations.