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la haine populaire. La foule qui déferle sous nos fenêtres pousse des cris de mort à leur adresse. Elle lance aussi contre nous de peu flatteuses épithètes. Notre maison, malgré sa grande simplicité, attire l’attention : complètement à l’écart, elle se détache par sa blancheur et chacun la remarque. Comme toujours en pareil cas, des individus louches se faufilent dans la cohue et attisent les passions.

Au chant de la Marseillaise, la foule, maintenant victorieuse, se dirige en colonnes denses vers la Douma pour saluer le gouvernement provisoire. Des automobiles réquisitionnés filent à toute vitesse, arborant le drapeau rouge. Ils sont pleins de soldats, fusils chargés. Dans beaucoup de ces véhicules on voit des sœurs de charité et des étudiants.

Les Frédéricks m’inquiètent ; leur téléphone est coupé ; je veux essayer de parler au docteur Karpinsky qui les soigne. Il me dit qu’il les croit à Tsarskoé... Tout d’un coup, j’entends comme un bruit de pierres qui heurtent les vitres. Pan, Pan, Pan : c’est en réalité une grêle de balles. Ma mère m’appelle d’une voix angoissée. Je me précipite en haut chez les enfants qu’on cache au fond du couloir. Les soldats prétendent qu’un coup de fusil aurait été tiré de notre toit : de deux côtés, on mitraille notre maison.

Une foule hurlante s’amasse, veut pénétrer à l’intérieur. Si on ne la laisse pas entrer, elle forcera les grilles. Si elle entre, que fera-t-elle ? Les balles sifflent partout : on n’a pas eu le temps de fermer les portes entre les chambres. Dans un coin, les enfants immobiles, muets, mais calmes...

Une bande de soldats fait irruption : ils réclament les armes que, parait-il, nous cachons chez nous. Notre réponse ne les satisfaisant pas, ils se mettent à fouiller partout avec leurs baïonnettes. En fait d’armes, ils trouvent chez mon petit garçon un fusil de bois et une vieille carabine allemande qu’on lui a rapportée du front : faute de mieux, ils s’en emparent. Même l’armoire aux jouets de ma fille, âgée de cinq ans, leur semble suspecte : elle n’échappe pas à la perquisition. Soudain surgit un enseigne militaire : s’adressant à ma mère, il lui dit :

— N’ayez aucune crainte, comtesse : il ne vous sera fait aucun mal. J’ai entendu le coup de fusil parti du toit. La


    portrait des Impératrices, la plus grande distinction pour une femme que la souveraine puisse conférer, — et sa fille cadette demoiselle d’honneur.