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dère qu’il est de son devoir de nous secourir. En effet, le soir il nous apporte un papier de la Douma attestant que notre maison doit être à l’abri des perquisitions. La patrouille de miliciens qui l’accompagne a l’ordre de surveiller notre immeuble et de nous protéger. Que pourraient faire, en cas de danger, ces jeunes gens, presque des enfants ? Et pourtant, nous nous sentons un peu rassurées.

Décidément, c’est aujourd’hui la série des visites imprévues. Encore un individu qui demande à nous parler. C’est un homme d’un certain âge, de manières polies, déférentes, doucereuses, pas du tout nouveau régime. Il se met entièrement à notre disposition et nous prie avec insistance de lui téléphoner au moindre ennui. Il dit à ma mère :

— Le défunt comte me rendait si aimablement mon salut, quand je le croisais le matin à la promenade ! Il était si simple, si avenant !

Puis il cite une liste interminable de personnages en vue qu’il a rencontrés. Qui peut-il bien être ? A supposer qu’il connaisse toute la haute société, il ne peut cependant, si l’on en juge par sa mine, appartenir qu’à une condition sociale des plus modestes. Ma mère lui demande son nom. Tout s’éclaire. C’est un certain Zaplatkine : en temps ordinaire, il remplit les fonctions d’homme d’affaires d’Alexandroff, le propriétaire de l’Aquarium[1]. Il en est, en réalité, le manager du music-hall. En cette qualité, il a vu défiler entre les murs de l’établissement beaucoup de gens haut placés. Nous le remercions de ses offres de services : désormais, en Zaplatkine réside tout notre espoir.

Demain on replacera les vitres et peut-être alors notre vie pourra-t-elle reprendre son cours normal. Les signes apparents de notre mésaventure une fois enlevés, la maison suspecte se retrouvera semblable aux autres.

Mercredi, 1er mars.

Enfin, le calme est revenu. Ce n’est pas pour longtemps. Ce matin, la femme de charge arrive pâle et tremblant de tous ses membres ; elle nous annonce que la maison est cernée : à toutes les portes sont postées des sentinelles. Le concierge

  1. Music-hall de Petrograd.