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mais leurs démarches restèrent infructueuses. Aucune clinique privée ne voulait de mes pauvres amies. Je compris que ces grandes blessées ne pouvaient être réellement en sûreté que dans une communauté de la Croix-Rouge. Rodzianko[1] en était le commissaire honoraire. Je ne le connaissais malheureusement pas et je ne savais comment parvenir jusqu'à lui. Tout à coup, j’entends dire autour de moi :

— Voici le colonel Engelhardt !

Engelhardt ! Le commandant de la Douma ! Un homme de petite taille, avec une grande barbe, l’aspect assez sympathique. Je me nomme, j’expose le cas des trois infortunées, je le supplie de me donner un sauf-conduit pour le Palais de Tauride.

— C’est bien difficile, me répond-il ; pourtant, venez avec moi !

Nous montons dans un auto, un soldat armé à l’avant de la voiture, et partons à toute vitesse. Arrivés à la Douma, il me fait passer pour une envoyée du comité de ravitaillement. Les couloirs regorgent de monde : des soldats, des étudiants, des civils. Le bruit des machines à écrire, les voix humaines, tout cela se confond dans un vacarme sourd, continu, pareil au bruissement d’une forêt d’automne, quand le vent souffle à travers les arbres. Nous allons droit à une porte sur laquelle on lit : « Comité Provisoire de la Douma. » Mon compagnon m’y introduit et promet de venir me rechercher. Rodzianko n’est pas encore arrivé.

De nouveau, on m’oppose un refus :

— Seul le président de la Douma peut faire ce que vous désirez. Il n’est pas ici, revenez ce soir !

J’avais l’impression que, si je ne parvenais pas à voir Rodzianko maintenant, je ne retrouverais jamais plus une telle occasion. Pourtant, après des heures d’attente, j’allais me retirer.

— Vous avez de la chance, voilà le président !

On lui transmet ma prière : échec complet. Je me décide alors à l’aborder. Ce fut notre première entrevue. Encore en chapeau et en pardessus, l’expression morose et peu avenante, il a l’air fatigué, déprimé. Quand je me suis nommée et que

  1. Rodzianko, président de la troisième et de la quatrième Douma. 11 était, au début de la Révolution, l’homme le plus populaire de Russie.