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il écrivit en personne, pour l’instruction des récipiendaires, un Discours des Francs-Maçons ; il obséda le cardinal Fleury, pour qu’à la Cour la maçonnerie fût bien vue. Fleury demeura rétif : le Roi, comme le Pape, fit grise mine aux loges. Mais Ramsay persévéra : un Allemand qui le visita longuement en 1741 nous le montre parlant avec une égale aisance de Fénelon et de la maçonnerie. Ramsay faisait voir des lettres du duc de Bourgogne à M. de Cambrai, et puis, sans aucune pause, développait un projet de « dictionnaire universel préparé par les mémoires mensuels des loges de Paris, » et qui serait publié grâce aux cotisations des Frères : c’était une première ébauche de l’Encyclopédie. L’acte de décès qui, le 7 mai 1743, marqua le terme de ses deux activités, fut en même temps le symbole de leur ondoyante diversité : parmi les signataires figuraient deux prêtres de Saint-Germain-en-Laye et deux pairs francs-maçons du Royaume-Uni. On pouvait dire de Ramsay, comme de son maître Fénelon, que « sa physionomie rassemblait tout ; » je n’oserais pas ajouter que chez lui « les contraires ne se combattaient point. « Il y a des éloges qu’il faut réserver pour le seul Fénelon [1].

Tel fut l’homme qui, par son Discours de la poésie épique et de l’excellence du poème de Télémaque, par son Essai philosophique sur le gouvernement civil selon les principes de M. de Fénelon, par son Histoire de la vie de messire François de Salignac de la Mothe-Fénelon, fit connaître au XVIIIe siècle la personne et la vie, les maximes et les rêves de M. de Cambrai. Recueillant en son palais l’âme nomade de Ramsay, Fénelon l’avait amenée, par une route émouvante, du déisme au catholicisme : la route pouvait se refaire en sens inverse, et ce fut l’art de Ramsay de présenter au siècle l’archevêque de Cambrai sous un certain jour qui pût plaire aux déistes. Lisez, par exemple, son discours sur Télémaque : M. de Fénelon, nous explique-t-il, « ne dit rien que ce que les païens auraient pu dire, et cependant il a mis dans leur bouche ce qu’il y a de plus sublime dans la Morale Chrétienne, et a montré par là que cette Morale est écrite en caractères ineffaçables dans le cœur de l’homme, et qu’il les y découvrirait infailliblement, s’il

  1. Le pamphlétaire De Potier, en 1838. s’imagina daf6rmer que Fénelon avait été reçu franc-maçon : c’était lui prêter une ressemblance toute gratuite avec son disciple. Sur cette absurdité, voir Revue Fénelon, juillet-octobre 1911, p. 97.