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tout entières prennent corps. Les arcs de triomphe qui portent : « Vivent les libérateurs ! Vivent les vainqueurs ! Salut à nos frères ! Salut aux héros de la Liberté ! Vive l’Armée française ! Vive la France ! » se dressent à l’entrée des cités. La foule impatiente se porte bien au delà. Et voici qu’au dernier tournant de la route rose, on voit déboucher une fanfare : les clairons sonnent, les tambours roulent, les cuivres éclatent : Marche de Sambre-et-Meuse, Sidi-Brahim, ou simplement Casquette du père Bugeaud, la plus aimée peut-être. Ah ! cette minute ! longtemps, de génération en génération, on s’en transmettra le souvenir.

Qu’importe la troupe, qu’importe l’arme ou le numéro, qu’importe que ce soit une division précédée d’un général aux feuilles de chêne ou un bataillon ayant à sa tête un jeune commandant ? Comme on disait à Mulhouse : « Qu’est-ce que ça fait ? C’est les Français ! » Le chef, à cheval, jeune ou vieux, s’avance raidi par l’émotion même, droit sur son cheval, car il est l’homme qui, à cet instant, — tout comme demain à Metz le général en chef, — s’appelle, quel que soit son grade, tout simplement : la France. Devant lui, la musique joue l’hymne national ou la marche favorite du régiment. L’arc de triomphe se dresse. À Schirmeck, j’ai lu une inscription touchante : « Chers libérateurs, soyez les bienvenus ! » Il y a des larmes de tendresse dans ce feuillage tressé. Le maire s’avance, son écharpe tricolore largement étalée, flanqué du curé, le rabat reconquis au vent ; ou bien, dans certains villages, le clergé a revêtu ses ornements, et les bannières religieuses se mêlent aux oriflammes des sociétés civiles ; car elles sont toutes là, des pompiers, réarborant le haut casque datant de Louis-Philippe aux jeunes boys-scouts, de la fanfare municipale aux vétérans de 70.

On ne respire plus : le maire, le curé haranguent avec les yeux brouillés de larmes ; ils ne font que commenter le salut de l’arc de triomphe : « Chers libérateurs, soyez les bienvenus ! » Parfois le notable qui harangue, maire, adjoint, curé ou simple particulier, est sorti des geôles allemandes depuis quarante-huit heures : on pense s’il se sent deux fois « libéré » par notre victoire et s’il a le droit de parler « des fers » que l’Allemand a mis aux mains de l’Alsace. Le soldat, du haut de son cheval, répond en quelques mots ; alors, rougissantes, Liesel, Katel, Suzel s’avancent : c’est à qui donnera la première son bouquet. Qu’il soit vieux ou jeune, commandant de corps