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il avait « jeté dans le Télémaque les premières bases d’une république royale ; « c’est Delisle de Sales qui, dans des pages intitulées : Fénelon à une Convention française, lui conférait cet éloge subtil, pour faire de lui l’apôtre d’une révolution pacifique. Mais ce Fénelon édulcoré n’était pas accepté par le montagnard Laveaux ; il avait copié dans Télémaque une terrible ligne : « . Par un peu de sang répandu à propos, on en épargne beaucoup. » Il la commentait comme on affile le tranchant d’un couperet ; et froidement il dogmatisait : « Fénelon était le Marat de la tyrannie, et Marat est le Fénelon de la liberté. » Ce second Fénelon, pourtant, entra seul au Panthéon ; le premier resta dehors ; entre le seuil de ce temple et le cercueil de l’archevêque, le livre d’Emery barrait la route. Et puis certains hommes vigilants s’inquiétaient de ces débuts d’apothéose qui tournaient à l’honneur d’un prêtre. Car enfin, de quelques gravures licencieuses qu’on eût paré son Télémaque, il avait été prêtre ; et chaque soir, ce suspect qu’était devenu Marie-Joseph Chénier faisait, en sa personne, acclamer le sacerdoce. Le conseil général de la commune sauva la liberté menacée, en ordonnant que Fénelon disparut du répertoire.

D’autres disgrâces succédèrent : la gratitude que gardaient les jacobins à l’architecte de Salente ne put empêcher que son petit-neveu l’abbé de Fénelon fût exécuté, ni que la cathédrale de Cambrai fût mise en vente, ni qu’on envoyât à la fonte le beau morceau de joaillerie pieuse qui devait exhiber aux regards des hommes, pour la suite des siècles, la majestueuse humilité de l’auteur des Maximes des Saints. Mais Jean Bon Saint-André eut un jour connaissance qu’on avait, à Lyon, répandu un peu de sang, en voulant sans doute en épargner beaucoup, et que le sang d’un neveu de Fénelon avait été compris dans cette effusion nécessaire : cela lui fit peine, parce que deux filles restaient dans la misère ; il parla d’elles à la Convention, qui chargea l’un de ses comités d’avoir pitié, en souvenir du « vertueux » grand-oncle. On s’aperçut enfin que même en tant que prêtre, ce grand citoyen pouvait servir la République. Pour les pompes du décadi, l’on avait besoin de certaines pages qui, « sans aucun mélange de superstition ni même de religion particulière, » pussent édifier les âmes : on les chercha dans M. de Cambrai. Et les théophilanthropes, qui avaient besoin, eux, de quelques figures de grands hommes pour en faire une