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matière de panégyriques, distinguèrent tout de suite celle de Fénelon : elle fut l’objet d’un Eloge laïque dans l’ancienne église Saint-Sulpice, devenue temple de la Victoire. Ainsi Fénelon bénéficiait-il de ce culte des grands hommes dont quelques lignes du Télémaque avaient paru tracer le programme ; et c’était le couronnement suprême de son renom de tolérance, d’être ainsi réquisitionné pour l’établissement des cultes divers que l’on voulait édifier sur les ruines du christianisme.

Fort heureusement pour sa mémoire, Emery veillait toujours ; et lorsque Bonaparte eut ramené le bon sens et la paix religieuse, Emery, acquéreur des papiers de Fénelon, pria Bausset, l’évêque d’Alais, d’en tirer une histoire du prélat.

L’Église de France reprit enfin possession d’une physionomie qui l’honorait ; les Sulpiciens, poursuivant le dessein des Jésuites, préparèrent une édition complète de Fénelon, qui allait purifier et consacrer sa gloire. La grande ombre de M. de Cambrai échappait désormais à la familiarité des philosophes et des sans-culottes ; il était temps qu’après ces périples qui dépassaient en imprévu les aventures mêmes de Télémaque, elle trouvât abri dans cette Ithaque qu’était Saint-Sulpice, et qu’elle réapparût authentiquement sacerdotale, sagement mystique, correctement doctrinale ; car, à ce prix seulement, elle pouvait reprendre son éclat littéraire, si fâcheusement terni, durant tout un siècle, par les lourdes fumées d’un certain encens.


VI

Il résulte de toute cette histoire qu’il y eut au XVIIIe siècle deux images de Fénelon, l’une, plus discrète, pour l’édification des âmes pieuses, l’autre, plus voyante, pour l’attendrissement des philosophes, et qu’à mesure que se développait cette dernière, elle n’avait avec la première presque rien de commun. Et cependant, certains traits authentiques de la pensée fénelonienne avaient tout d’abord servi d’éléments pour composer cette romanesque image. Ce qui dès le début contribua beaucoup à séduire le camp philosophique, ce fut la tendresse et l’humanité de l’âme fénelonienne, ce fut le crédit que M. de Cambrai faisait à la nature humaine, à la raison humaine, à la liberté humaine, ce fut une certaine attitude d’esprit que ces mauvaises langues de jansénistes eussent volontiers qualifiée