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serait deux ou trois fois plus aujourd’hui, — à une dizaine de milliards, chiffre qui nous semble devoir être bien inférieur à la vérité. D’autre part, tout ce que la guerre ou le ravitaillement ne trouvaient pas en France a dû être demandé à l’étranger, et payé en or, en valeurs, ou en emprunts : nos emprunts publics extérieurs s’élevaient à eux seuls, au 31 décembre dernier, à une trentaine de milliards. Seconde perte qui, jointe à la précédente, permet de se faire grosso modo une idée de ce que pouvait être à la fin de 1918 la diminution de l’actif économique du pays, la « décapitalisation » de la France, en sus des perles humaines, des dommages de guerre et du » manque à gagner » sur le temps de paix.

A cette perte-là, il y a une contre-partie. L’Etat français a fait à plusieurs de ses alliés des prêts, moindres à la vérité que ceux dont l’Angleterre a pris dans le même temps la charge, mais dont le total s’élève cependant à dix milliards environ : un jour sans doute il pourra rentrer dans quelques-unes de ces avances. Puis les armées de nos alliés ont dépensé chez nous des sommes considérables, sur le montant desquelles on n’a encore aucune donnée : le règlement en viendra en déduction de nos dettes extérieures. Enfin la guerre, si elle a été surtout destructive, a été aussi par ailleurs créatrice de richesse : usines et installations nouvelles, améliorations des ports et voies ferrées, industries même créées de toutes pièces, toutes ces immobilisations ont été faites en vue de la guerre, mais une partie, une bonne partie sans doute pourra servir, après la paix, à des buts de paix.

Certes ces divers « à-côté » seront bien loin de compenser nos pertes en capital, dont le peu que nous avons dit suffit à montrer que le total, si jamais on arrive à l’établir, sera terriblement gros. Elles eussent été moindres, si le pays avait réduit sa consommation privée, en vue de laisser aux besoins de la guerre plus de produits français et de diminuer les achats à l’étranger ; s’il ne l’a pas fait, la faute en est moins peut-être au public qu’à nos gouvernants qui n’ont cessé de pousser à la consommation par l’abus systématique des allocations, des salaires surélevés, et des taxations de denrées. Elles eussent aussi été moindres, s’ils n’avaient eux-mêmes donné l’exemple du gaspillage et pris, semble-t-il, pour principe de donner sans compter, et de sacrifier sans contrôle « la dépense à la défense. » Mais