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lui jette, avec un baiser, un frémissant adieu. C’est ainsi que la gaieté, que l’esprit de Mozart, sans jamais être la dupe de son cœur, en ressent à tout moment l’influence.

Les deux éléments se partagent son génie, plus que tout autre harmonieux. S’il fallait encore une fois le définir, on redirait volontiers ce que disait Jules Lemaître, abordant naguère l’éloge de son bien-aimé Racine : « J’emprunterai beaucoup et je m’en apercevrai quelquefois. » Avec Taine, admirant chez un Mozart, — comme chez un Raphaël, — « ce goût naturel de la mesure, ces instincts affectueux qui le portent... à peindre la bonté native ; cette délicatesse dame et d’organes qui lui fait rechercher partout les êtres nobles et doux, tout ce qui est heureux, généreux et digne de tendresse, » on citerait aussi le poète-musicien, du pays de Mozart, et qui, de tous les musiciens et de tous les poètes peut être, l’a compris le mieux et le plus aimé. Il y a près de quatre-vingts ans, devant un monument de Mozart, Franz Grillparzer parlait ainsi : « Vous le nommez grand ! Il l’est en effet. Ce qu’il a fait et ce qu’il s’est interdit pèsent d’un poids égal dans la balance de la renommée. Parce qu’il n’a jamais voulu plus que ce que doivent vouloir les hommes, l’ordre : « Il le faut » sort de tout ce qu’il a créé, il a préféré paraître plus petit qu’il n’était, plutôt que de s’enfler jusqu’au monstrueux. Le royaume de l’art est un second monde, mais existant et réel comme le premier, et tout ce qui est réel est soumis à la mesure. »

Depuis, un de nos confrères étrangers a souhaité qu’on gravât ces paroles dans la chambre de tous les musiciens. D’aucuns, parmi les nôtres, ne feraient pas mal de les conserver en leur cœur. et la musique de Mozart leur enseignerait autre chose encore. Elle leur apprendrait la grâce et le charme, le sourire et la joie, cette « gioia bella » qu’invoque amoureusement Suzanne et dont est faite au moins une moitié de l’œuvre et de l’âme de Mozart. Joie pure, ingénue, infinie, que rien de vulgaire, de bas ou de trouble ne corrompt ; joie humaine et divine tout ensemble, que la musique ne devait plus connaître et dispenser. « Non più andrai... « Il semble que l’adieu de Figaro ne s’adresse pas seulement au petit page, mais à la musique elle-même, et que dans les régions sereines, fortunées où Mozart l’avait conduite, elle ne soit jamais retournée. Grillparzer encore a dit : « Un trésor s’est perdu : le bonheur innocent. Et ce bonheur, ô mon Autriche, fut le tien. » Je ne suis par très sûr que son Autriche ait connu « le bonheur innocent ; » mais certainement c’est bien celui-là que donne et donnera toujours la musique de Mozart.