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forteresses aux soldats belges, et que cet événement imprévu a subitement transformé en violation de neutralité un incident auquel, sans cela, il n’y aurait eu rien à redire. En d’autres termes, l’attentat allemand commis contre la Belgique a, par un effet rétroactif assez bizarre, communiqué son caractère criminel à une action française qui autrement eût été inoffensive. De pareilles choses ne se réfutent pas, il suffit de les souligner ; elles attestent le désarroi moral des plus hautes autorités militaires de l’Allemagne.

Pendant que, dans des proclamations destinées aux Belges et lues par l’étranger, les généraux prussiens se bornaient à ces généralités vagues et obscures, leurs subordonnés se gênaient moins avec la vérité et racontaient tout bonnement aux soldats des contes à dormir debout. Voici ce qu’on lit dans une histoire de la conquête de la Belgique écrite par le major Victor von Strants. Il fait parler un Allemand qui reproduit le témoignage d’un de ses compatriotes :


« Le matin du 3 août, c’est-à-dire avant l’expiration du délai fixé par l’ultimatum allemand, des gens de sa connaissance lui racontèrent qu’ils venaient de voir à la gare du Midi, à Bruxelles, des soldats français. Comme ceci semblait invraisemblable à mon bailleur de renseignements, il se rendit lui-même, à 3 heures de l’après-midi, à l’endroit indiqué et vit que deux régiments français étaient campés sur la place devant la station. La même constatation a été faite sur un tout autre point de la Belgique par une jeune gouvernante qui était en service dans une villa entre Rouillon et Paliseul, c’est-à-dire dans le voisinage de la frontière française. Elle aussi bien que la bonne d’enfants qui l’accompagnait et qui était Allemande comme elle, virent le 3 août, à 7 heures du matin, un cavalier français qui s’enquérait au sujet du plus proche village. Et effectivement, deux heures plus tard, le garçon laitier qui venait du village en question raconta dans la villa que les Français venaient d’y entrer. Je suis autorisé par ces deux témoins à faire connaître leurs noms et leurs adresses. »


L’Allemagne avait à Bruxelles jusqu’au 2 août un ministre et un attaché militaire et elle se faisait renseigner par des bonnes d’enfants et par des garçons laitiers !

Mais la surenchère des insanités continue. Ecoutons le lieutenant von Trotha :


« Une nouvelle qui se répandit avec la rapidité de l’éclair vint