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vent du large et salué par le vol des obus, il montait avec ses soldats la garde au seuil de ce dernier morceau de Belgique indépendante !

Mais le roi des Belges n’a pas eu le temps d’évoquer les souvenirs historiques ; c’est l’heure présente, c’est la lutte de tous les instants qui réclame toutes les forces de son intelligence et de sa volonté. Car c’est là, sur la frontière de ce qui lui reste de royaume, que vont se livrer les combats les plus acharnés et les plus meurtriers de la guerre. Ou 23 au 30 novembre 1914, le pays de l’Yser est témoin d’un drame comme le ciel et la terre n’en ont pas encore vu depuis le commencement de l’histoire. Pendant cette semaine tragique, toutes les forces de l’homme et de la nature sont employées aux œuvres de la mort ; des luttes désespérées se livrent pour quelques mètres carrés ; chaque motte de terre est trempée de sang ; les obus traversent le ciel en nuages compacts comme des vols de sauterelles ; à la grosse artillerie allemande répond celle de la flotte anglaise, dont les rauquements font trembler l’air dans les environs de Bruxelles. Plusieurs fois, en sacrifiant des milliers d’hommes, les Allemands parviennent à franchir l’Yser, chaque fois ils sont rejetés sur l’autre rive par notre vaillante armée, qui fait là des prodiges d’endurance et de courage. Mais elle est décimée par la mort, — le septième régiment de ligne, à lui seul, a perdu six cents hommes en quatre jours ; ne va-t-elle pas à la fin succomber sous l’immense supériorité numérique d’un ennemi qui, lui aussi, est digne de ce combat de géants ?

Il n’en sera pas ainsi. Le 30 octobre 1914 se produit l’événement extraordinaire, inattendu, qui arrête l’immense effort germanique et qui dit à l’envahisseur : « Tu n’iras pas plus loin ! »

Les Belges, protégés par le remblai du chemin de fer qui opposait une barrière à l’inondation du côté de l’Ouest, furent désormais inexpugnables.

Voilà comment, après quatre mois de guerre, il y avait toujours une Belgique indépendante, que le pied du conquérant ne foulait pas. C’était une bien petite Belgique ayant tout au plus 500 kilomètres carrés, et que notre armée aurait pu arpenter tout entière en un seul jour, du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest. Elle se réduisait à deux villes : Furnes et