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avait saisi la manifestation infernale comme force du Mal. Maintenant, avec le tableau de la Léda, suggéré par l’amie perdue, il en comprenait la manifestation divine, comme force du Bien. Ce n’était plus le pouvoir destructeur et monstrueux de la femme livrée aux bas instincts, mais l’effluve inspirateur, la force régénératrice de l’amour vrai, du sacrifice créateur. Lien universel, harmonie des contraires. De ce point brûlant, quels rayons jaillissaient à gauche, à droite, en bas et en haut, en tous sens, vers les régions lointaines du monde ! Ainsi Léonard avait reçu de sa Joconde ce que la science seule n’eût jamais pu lui donner.

D’une sphère inconnue, elle lui parlait encore à travers ce tableau. Grâce à elle, il tenait enfin la clef du grand mystère du Mal et du Bien et de leur lutte nécessaire dans le monde. Par elle et avec elle s’accomplissait en lui la rayonnante victoire du Bien sur le Mal. Et le peintre pouvait se dire que, par l’ensemble de son œuvre incomplète et suggestive, il transmettait cette clef précieuse à ceux qui sauraient la comprendre et s’en servir.

Quand Léonard déposa son pinceau sur le chevalet de la Léda terminée, un grand apaisement se fit en lui dans une mélancolie plus sereine. N’avait-il pas accompli le désir de la Joconde ? — Vivante ou morte, sans doute qu’à cette heure elle lui avait pardonné.

En achevant cette œuvre, le Vinci s’était dit : « Voilà mon chant du cygne. »

Passons maintenant au dernier tableau de Léonard, qui, avec la Léda et le Bacchus, représente le testament de l’artiste et du penseur, précieux héritage que la France a l’honneur de posséder au Louvre. Le Jean-Baptiste, qui fascine et ensorcelle tout le monde, a déconcerté la critique, parce qu’il est à la fois païen et chrétien. Certes, il ne rappelle guère le prophète vêtu de poil de chameau qui prêchait la pénitence sur les bords du Jourdain et qui annonçait la venue du Messie, mais il mérite le nom de Précurseur en ce qu’il présage un Christ nouveau, manifesté à travers un homme régénéré. Peut-être aurons-nous quelque peu défini sa nature en disant qu’en lui l’Éternel-Masculin et l’Eternel-Féminin réalisent leur compénétration et leur fusion parfaite. Spirituellement parlant, c’est vraiment l’Androgyne ! Mais quel travail pour le devenir ! Il a