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violemment l’ancien régime. Les mêmes qui avaient été des monarchistes ardents avant le 27 février, voulaient maintenant se rattraper. Parfois montaient des clameurs furibondes :

— Plus haut, citoyen. On ne vous entend pas. On ne comprend rien à ce que vous dites.

Le malheureux candidat, terrifié, faisait des efforts désespérés ; mais son organe oratoire refusait de se soumettre à sa volonté. Plus : morte que vive, je me répétais : « Que va-t-il m’arriver ? Je ne sais pas parler. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir dire ? Que suis-je venue faire ici ? » Mes réflexions devenaient de plus en plus sombres, je perdais le fil de mes idées. La chaleur accablante, le bruit des interruptions se confondaient dans mon cerveau fatigué. Je ne voyais plus rien qu’un point lumineux, qui tournait, tournait sans cesse. Il grandissait, puis de nouveau se rapetissait ; je ne saisissais d’ailleurs-pas-la cause de ce phénomène qui absorbait toute mon attention.

— Camarade Narischkine !

Mon nom ! Glacée d’épouvante, je me lève n’ayant qu’une idée : en finir. Et j’entends une voix, voie voix étrangère à moi-même, articulant très nettement : « Je ne fais partie d’aucun groupe politique ; je me suis : toujours tenue à l’écart de la politique. Depuis-la guerre, je travaille à l’Union des Villes, pour les mutilés. Je vous remercie de la confiance que vous me témoignez : Si vous me nommez ; je ferai tout mon possible pour me rendre utile. »

Je me rassieds. Un tonnerre d’applaudissements accueille mes paroles. Elles ont plu. Pendant le scrutin, un homme, plus agités que tous ces agités et secouant une crinière abondante, s’approche de moi.

— Vous avez une majorité écrasante, camarade.

Le président annonce les résultats : sont élus le citoyen Nejdanoff et la citoyenne Narischkine. Nous nous suivons à une voix. Les autres n’ont recueilli que quelques suffrages. Le citoyen chevelu m’apprend que tous les ouvriers ont voté pour moi. Quelles pouvait être la cause d’une sympathie si imméritée ? Comme je m’informais, j’obtins cette réponse : « Un camarade ouvrier menchévik, membre du Soviet des ouvriers et des soldats, a proposé votre candidature. » En mon âme, je le maudissais : je dus pourtant m’approcher de lui et le remercier.