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— Jamais I s’écrie-t-elle avec emphase, jamais nous ne rendrons les armes que nous portons ! Jamais, nous, les ouvriers, nous n’abandonnerons notre poste. Nous n’avons pas confiance dans la bourgeoisie. Le jour où les conquêtes de la Révolution seront en danger, nous, les camarades ouvriers, nous nous lèverons comme un seul homme pour défendre la liberté conquise au prix de notre sang.

Tout dans l’attitude de la Tarakanova dénote une âpre haine de classe. Elle creuse sans cesse, par des mots blessants, l’abîme entre les ouvriers et les intellectuels. Sa parole distille le fiel et sème la discorde. D’ailleurs, elle est la seule dont la personnalité ressorte dans ce cadre si terne : c’est elle qui donne le ton et dirige réellement les débats. Quant aux ouvriers, ils sont parfaitement disciplinés : ils se soumettent entièrement à leur leader et votent toujours à l’unanimité. Au contraire, du côté des bourgeois, ce ne sont que disputes et divisions. Le président écoute, ennuyé. Quand l’avantage semble se dessiner dans un sens qui n’est pas celui des ouvriers, aussitôt il brusque les choses et passe à la question suivante. Au surplus, même avec une autre tactique, le résultat eût été pareil : les quinze voix d’ouvriers l’auraient toujours emporté sur les douze voix bourgeoises, même si les bourgeois avaient été d’accord. Ce défaut d’union entre les intellectuels produisait une impression navrante. Quel sourire moqueur la Tarakanova lançait quand s’élevaient les querelles entre bourgeois ! Dans les séances privées, ils ne manquaient pas de protester contre la prépondérance des ouvriers ; ils cherchaient un moyen de se délivrer de leur tutelle. Mais, aux séances plénières, complet changement de ton. A de rares exceptions près, tous craignaient de déplaire aux ouvriers, et, comme toujours en pareil cas, ils exagéraient. Ils leur brûlaient trop d’encens. Cela même mettait les ouvriers en garde : ils ne pouvaient croire à la sincérité de toutes ces paroles flatteuses qu’on leur prodiguait.

Le seul moyen pour nous de contre-balancer cette majorité acquise contre nous, était de faire entrer dans l’assemblée un tiers parti qui nous appuierait. Le hasard nous servit à souhait. Au cours d’une interpellation sur le nombre de postes de milice, quelqu’un fit remarquer que les soldats n’étaient pas représentés parmi nous. D’une voix tonnante un enseigne militaire reprit la question à son compté, et dit de rudes vérités au