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de la scène. L’un, un petit vieillard, au visage pointu, les cheveux blancs comme neige, les yeux brillants ; l’autre, un gros blond à lorgnon, qui porte, l’uniforme français ; mais son type dément absolument cette nationalité. Ce sont Deutch et Koslovsky envoyés par l’Elinstvo[1] à la place d’Alexinsky. Dans une petite pièce attenant au plateau se trouvent déjà plusieurs officiers étrangers, ainsi que Maklakoff, Roditcheff et Mme Lebedew. Le leader du Labour Party, M. Henderson fait son entrée : il est de tournure élégante : ses idées n’ont pas déteint sur son extérieur. Chez nous, un socialiste doit être échevelé, débraillé, et non pas habillé, mais tout juste vêtu.

Maintenant Rodzianko, métamorphosé, sourit cordialement à tous. Le doute qui jusque-là le tenaillait sur la réussite du meeting a dû se dissiper. De nouveaux venus s’inscrivent continuellement sur la liste des orateurs ; l’étroite pièce bourdonne comme une ruche. L’hémicycle houleux regorge de monde. Les rubans et les croix de Saint-Georges, mêlés aux guirlandes de verdure font au théâtre une décoration pittoresque.et des plus agréables à voir. Des draperies, aux couleurs nationales de tous les pays alliés, retombent en plis souples des loges où se trouvent les représentants de ces nations amies… Cela repose du drapeau rouge, qui flotte partout depuis le 27 février.

Sur le fond de l’estrade se détache une reproduction de l’étendard des invalides avec leur devise : « La victoire est le gage de la liberté. » Tous les volontaires mutilés sont en uniforme khaki aux épaulettes bordées d’un galon aux couleurs nationales : sur leurs poitrines brillent des décorations. Beaucoup n’ont qu’une jambe : ils se redressent avec une allure martiale de vieux braves. Leurs figures rayonnent. Autour d’une grande table recouverte d’un tapis, siègent quelques-uns des hommes qui ont joué les premiers rôles dans l’histoire de la Révolution.

Au milieu d’un profond silence, le président déclare la séance ouverte. En quelques mots vibrants, il explique l’objet de la réunion. Il propose de saluer les ambassadeurs alliés présents et puis d’acclamer les détachements qui partent pour le front. Un tonnerre d’applaudissements accueille ces paroles ; l’auditoire tout entier réclame les hymnes nationaux. A deux reprises, retentissent les accents de la Marseillaise. Une vague

  1. L’Unité, journal socialiste.