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chantait autour du bel arbre. A ses branches retombantes on attachait des fleurs. Un jour surtout, trois dimanches avant Pâques, d’après un usage qui devait remonter aux précurseurs des Celtes, les enfants du village allaient saluer les sources, des chansons aux lèvres, leurs petits paniers au bras. Les rondes et le goûter occupaient l’après-midi. Ils allaient, disaient-ils, « faire leurs Fontaines », touchants continuateurs de croyances millénaires évoluées. Puis ils redescendaient heureux vers les maisons de leurs mères, d’où montaient vers la côte les premières fumées du soir.

Maintenant, elle y trouvait ses Voix, visibles et présentes. Sainte Catherine et sainte Marguerite étaient venues, annoncées par saint Michel. Les trois bienheureuses puissances administrent tout son être. Elle les nomme intérieurement : son conseil. Dans la campagne, sous les bois, peut-être encore dans le jardin de son père, les voix lui parlent, de plus en plus troublantes. Elle-même comprend mieux beaucoup de choses : les Anglais, les Bourguignons, le désastre de Verneuil, pire que la journée d’Azincourt, le roi Charles, qui n’est encore que dauphin, puisqu’il n’a pas reçu le sacrement baptismal de Reims, le prince lointain et embrumé qu’on nomme le roi de Bourges. L’archange lui racontait « la pitié qui était au royaume de France. » Elle se la traduit en images, elle s’en imprègne : on peut dire qu’elle se l’incarne.

Rien n’est modifié dans le cadre de sa vie coutumière. Toujours même droiture et même simplicité. Mais toujours même réserve à l’égard de son secret. De quel poids néanmoins doit-il peser sur elle ! Lorsque le samedi, selon l’usage, elle monte à Bermont par le chemin qui pénètre les bois, quand elle porte à la chapelle ses offrandes fleuries et l’hommage plus précieux de son cœur, si par hasard, sur le chemin de la côte ou dans quelqu’une de ses haltes, une apparition s’impose et l’arrête, quels regards jetés vers les branches où brille la clarté mystérieuse, où germe le murmure des voix, quelle angoisse et quelles affres ! Et, de retour à la maison, sans confidence possible, quelle solitude, près de ceux qui l’aiment !

Ainsi passent deux étés de plus, suivis de leurs automnes. Elle atteignait seize ans, se taisant toujours, murée dans le silence…