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Ne semble-t-il pas entrevoir ici, dans la campagne française, un paysage de Judée, près de Cana, et quelque épisode évangélique ?

Jusqu’à Soissons, tout va bien encore. On a passé le pont de Berry-au-Bac. Jeanne et le roi ont poussé jusqu’à Corbeny, sous la montagne de Craonne, jusqu’à l’abbaye de Saint-Marcoul, lieu fixé par l’usage, où les rois touchent les écrouelles, dans les jours qui suivent leur sacre. Jeanne d’Arc a franchi le ruisseau de la Miette, longé le bois de la Ville-au-Bois, foulé le terroir de Juvincourt. Son ombre, parfois, revient-elle en ces parages, sur la terre aujourd’hui saturée de ce sang de France qu’elle ne pouvait voir répandre sans trembler ? Puis toute l’armée a pris la vallée de l’Aisne, par Pontavert et Vailly. On entre à Soissons. Laon s’est donné. Compiègne s’offre. Les villes de Picardie n’attendent qu’un signe. Tout semble se disposer à souhait.

Alors, à Soissons, ville fatale, survient la catastrophe. Quand l’armée sort de la ville, ce n’est pas vers Compiègne qu’elle marche, Compiègne qui promet Paris, c’est vers le Sud, vers la Loire. Un armistice est conclu[1]. Il ne concerne que le duc de Bourgogne et n’est valable que pour quinze jours. Mais il suspend les hostilités. Le duc doit s’entremettre pour faire rendre Paris au roi. Moyennant quoi l’armée de Reims fera volte-face et se disloquera. Le leurre est dérisoire. Mais le groupe de Bourges triomphe. Le sacre a eu lieu, c’est un fait. Contre toute logique, contre toute convenance, l’aventure a bien tourné. Mais à présent, place à d’autres combinaisons. Arrière, cette armée qui fait des conquêtes et brouille les choses. La parole passe aux négociateurs. Ils vont traiter à l’aise, loin des villes qui capitulent à la vue de cette Pucelle ou qui se proposent à distance. Et le Roi, prisonnier de son conseil, s’enfuit devant la victoire.

Dans le cœur de Jeanne, quel coup de couteau ! Pourtant, les villes du parcours se rendent encore au passage : Château-Thierry, Montmirail, Provins. Mais qu’en faire, Dieu du Ciel, puisqu’on tourne le dos à l’espérance ?

Mais voici que tout est remis en question. Le pont de Seine que doit passer l’armée en retraite, au midi de Provins, vient

  1. Sur les négociations qui suivent, voyez le Commentaire de la Chronique d’Antonio Morosini.