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cette philosophie et, plus dangereusement, à la base de cette science, il y a un acte de foi, un credo, un dogme. Et alors qu’est-ce que cette « vérité scientifique » dont vous êtes si fiers et que vous opposez si rudement aux principes ou aux croyances métaphysiques ou religieuses ?… Le néo-darwinisme serait-il une science indépendante des faits, supérieure à eux et qui se passe de leur secours et même de leur assentiment ?

Et qu’est-ce qu’une telle science ? On avait accoutumé d’appeler « vérité scientifique » une formule qui résume un certain nombre de faits dûment contrôlés : et tant valent les faits, tant vaut la formule ; et, si les faits ne valent rien, la formule aussi ne vaut rien. Mais, la prétendue vérité darwinienne, les néo-darwiniens la dégagent des faits si bien que, les faits démentis, contestés ou interprétés d’une autre manière, elle subsiste, elle n’a pas souffert, elle n’a pas bougé. M. l’abbé Eugène Aglon, dans une thèse de philosophie péripatéticienne intitulée L’âme raisonnable est-elle l’unique forme substantielle du corps humain ? cite à ce propos un document très singulier. En 1903, à la Société de Philosophie de Vienne, on discuta le darwinisme ; un darwinien, M. Kassowitz, ne craignit pas d’avouer que la chère doctrine avait, au bout du compte, des points faibles. Il ne craignit pas de l’avouer ; ou, du moins, il annonça qu’il ne le craignait plus. Et la Revue philosophique du 1er juin résuma comme suit son discours : « Tant que le darwinisme constituait une machine de guerre contre les croyances surannées et le dogmatisme religieux, on n’avait pas le temps et on n’osait pas y toucher : on s’interdisait toute analyse, toute critique, toute vérification… » C’est charmant !… « Mais aujourd’hui que l’éducation scientifique de la majorité de ceux qui pensent et réfléchissent peut être considérée comme terminée… » Terminée, oui, par ces grands maîtres de science qui imposent à leurs élèves une vérité frelatée !… « et qu’un fossé profond, infranchissable, sépare le domaine de la science de celui de la religion, — la première ayant définitivement conquis le droit d’éliminer de ses considérations toute intervention de forces surnaturelles, — on ne s’expose plus, en attaquant ou en critiquant le darwinisme, à compromettre les principes scientifiques inscrits sur sa bannière et au nom desquels il combattait. Chacun se trouve dégagé de la réserve qui lui était imposée jusqu’ici et récupère sa pleine liberté, le droit de critiquer et d’apprécier, au risque même de voir tout l’édifice du darwinisme crouler et disparaître. » Quel aveu ! Et voilà le néo-darwinisme, doctrine de savants ou de gens qui se réclament de la science positive ; doctrine qui