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— Madame, je vous présente monsieur Paul Margueritte, un danseur !

Je m’anéantis dans un plongeon de confusion, confusion qui s’accrut quand Galliffet, quelques minutes après, me colloqua à Albert Delpit.

— Ce garçon-là veut faire de la littérature ; Delpit, donnez-lui des conseils !

Mon visage trahit-il un involontaire désarroi ? Delpit s’écria, plaintif :

— Oh non ! non ! je vois bien qu’il n’a pas confiance en moi !

Il eut pourtant la galanterie de m’inviter une fois ou deux à déjeuner ; j’eus le plaisir d’y connaître Marcel Prévost, déjà remarqué pour son roman Le Scorpion ; et j’entendis avec admiration Heredia réciter les sonnets d’Antoine et de Cléopâtre. Delpit, à la fin, sauta au cou du poète et, les larmes aux yeux, s’écria :

— N… de D… ! que c’est beau, les beaux vers !

Quant à la Revue des Deux Mondes, qui devait me faire l’honneur d’une longue hospitalité, je n’y entrai que sensiblement plus tard, comme romancier cette fois : et Mme Buloz voulut bien ne pas me tenir rigueur d’avoir, sous la contrainte du général de Galliffet, surpris sa religion. Danseur, plût à Dieu ! Que de places brillantes eussé-je obtenues, si Beaumarchais a dit vrai ! Danseur !… Je me suis souvent répété ce mot avec une plaisante amertume : mais quoi, l’intention de Galliffet avait été excellente, et sa protection chevaleresque devait, en d’autres occasions, se montrer plus appropriée et plus efficace.


J’allais m’éloigner du chef du naturalisme, chef sans élèves, car Maupassant, Léon Hennique, Henry Céard, Joris-Karl, Huysmans, attestaient des talents trop différents pour être considérés autrement que comme des disciples d’affection et non, d’école. Emile Zola publiait alors La Terre, roman épique, d’une crudité flamande, où les incongruités sonores du paysan Jésus-Christ faisaient scandale. Sans avoir, comme on devait me le faire judicieusement remarquer, le droit d’être prude, je ressentais un sincère éloignement pour