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des espaces indéfinis, où se disséminent des groupes de combat trop distants les uns des autres pour s’aider mutuellement ; et chacun de ces groupes sent le vide autour de lui et le vide derrière lui, car nos faibles effectifs de soutien se dépensent vite en renforcements. Or, contre notre ligne discontinue et frêle, les troupes de choc allemandes, grisées par la rapidité de leur avance, poussent puissamment, le plus souvent à découvert, en formations massives, comme à Charleroi. Quand elles se heurtent à l’un de nos groupes de combat, elles l’attaquent de front ; mais en même temps elles détachent de petits éléments, qui oscillent avec souplesse des zones battues par nos feux aux zones où nos feux sont plus rares ; ces petits éléments, formés en colonnes et munis de mitrailleuses légères, discernent les cheminements propices, s’y glissent, s’infiltrent par les vallons, se rassemblent dans les angles morts, ruissellent le plus loin qu’ils peuvent, débordent le groupe de combat français. Et nos soldats, surpris d’entendre tout à coup crépiter les mitrailleuses sur leurs flancs ou derrière eux, se replient, du moins dans les premiers jours, comme si ce procédé de l’infiltration, qui n’est pourtant que la manœuvre classique de toute infanterie au cours d’une progression, tenait de la sorcellerie.

Pourtant, ils résistent au-delà de tout espoir, les soldats de la 9e division et ceux des divisions voisines : c’est « le cœur de la France, » ils le savent, qu’ils protègent. Grâce à leur dévouement, au sens romain du mot, les renforts ont le temps d’affluer, et, dès le 26 mars, sixième jour de la bataille, le général Humbert peut employer onze divisions. Du 27 au 30, notre ligne de résistance s’affermit, sur la montagne de Porquericourt et sur le Mont Renaud, au Sud du Noyon. Les Allemands se brisent contre elle.

Partout ailleurs, aux mêmes derniers jours de mars et aux premiers jours d’avril, vers Lassigny, vers Montdidier, partout où s’est ouverte la brèche, elle se referme, et le rempart français se dresse : « Humbert a barré la route de Paris, Debeney celle d’Amiens[1]. »

Ce fut sans doute parce que l’ennemi s’affaiblissait à mesure qu’il avançait. Mais peut-être fut-ce principalement parce que

  1. Voir l’article déjà cité de la Revue, notamment page 300.