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l’infanterie allemande, en route pour Paris, croyait-elle, avait triomphalement franchi.

Là, pour la troisième fois, l’ennemi résistera : car il manœuvre en retraite par repli systématique, nous attirant chaque-fois soir une position d’arrêt choisie à une distance telle de la position d’arrêt précédente qu’il nous faille chaque fois procéder au déplacement général de notre artillerie. Au bout de deux jours, nos régiments forcent pourtant le canal Crozat, et c’est à 10 kilomètres au-delà qu’une troupe fraîche vient relever enfin, le 11 septembre, l’énergique division qui, en ces quinze jours, a livré vingt combats, conquis un riche butin et refoulé l’ennemi sur une profondeur de 40 kilomètres.

Quelle émotion de regarder sur la carte le long sillon qu’elle a tracé et les sillons parallèles, de longueur inégale, mais non moins inflexibles, qu’à sa droite, à sa gauche, ont tracés tant d’autres divisions ! Chaque division est un soc qui, d’un mouvement lent et fort, laboure la terre sacrée. A quel prix ! Décimés par les deux organes de la défense ennemie, la mitrailleuse légère et Pypérite, nos régiments s’épuisent. La bataille n’est plus, comme en guerre de siège, une crise horrible, mais brève ; c’est l’ahan continu des marches et des contre-marches, des nuits sans sommeil et des jours sans abri, sous l’ardent soleil de l’été. Mais c’est l’été glorieux : l’ennemi ne combat plus qu’à reculons sur cette terre qu’il a souillée et que nos soldats délivrent et purifient. Pour eux, la misère est de tous les jours, mais la victoire aussi est de tous les jours. Chacune de leurs étapes est une victoire, faite de tous leurs labeurs de ces quatre années, de toutes leurs expériences, de tous leurs progrès, de toutes leurs souffrances, non pas des leurs seulement, mais des souffrances magnanimes de leurs compagnons qui sont morts et dont ils accomplissent enfin la volonté. Leurs compagnons qui sont morts sont près d’eux en ces jours, — et oculis insipientium vlsi sunt mori : ils les assistent, ils les soutiennent en leurs derniers travaux. « Vive labeur ! » c’était le mot d’ordre de Jeanne.


Sous les coups savants à la fois et forcenés que frappent les Alliés, l’Allemagne chancelle. Ses armées formidables, ses 204 divisions du 21 mars, que sont-elles devenues ?