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dans l’intimité, c’est d’avoir de l’autre côté de l’Océan, à l’ombre de nos clochers de l’Ouest ou du Sud-Ouest, des tombes d’ancêtres authentiques sur lesquelles s’aller agenouiller, chaque fois qu’il leur arrive de passer la mer.

J’insinue que, dans le peuple, l’empreinte française originelle résiste sans doute moins victorieusement a. l’américanisation.

— Pas toujours, reprend-il. Je pourrais vous citer, à cet égard, des exemples touchants. Tenez, la semaine dernière, un de mes vicaires, que j’ai amené des environs de Combourg, est mandé au chevet d’une malade de nom dûment américain. Il croit devoir l’interroger en anglais : il n’obtient d’elle que des yes et des no qui ont l’air de sortir péniblement. Alors, il a recours au français. Métamorphose subite dans l’attitude de la patiente ; ses yeux rayonnent, son visage s’illumine : « Ah ! s’écrie-t-elle, j’avais peur que vous ne fussiez Irlandais ou Germain. Quel bonheur de vous parler avec ma vraie âme, dans ma vraie langue ! » Cependant, il faut avouer que les jeunes générations se défrancisent de jour en jour, et cela pour quantité de motifs dont je vous épargne l’énumération. Je ne connais que trop de fils, hélas ! qui n’entendent plus un mot à l’idiome paternel… Espérons que les événements qui semblent se préparer vont leur faire incessamment une obligation de le rapprendre, — et à sa source même, en France, dans notre héroïque Franco, que je vous charge de saluer pour moi.

Nous nous levons. Le Père Racine nous assure avec chaleur qu’il est tout acquis à notre œuvre et promet d’y intéresser l’évêque.

— Je n’oserai pas en dire autant de l’archevêque, qui est, comme vous savez, dans un état de santé fort précaire.

La phrase éveille un sourire discret sur les lèvres de M. Cussachs. Dehors, il m’explique que l’archevêque en question est un Allemand, qu’il ne s’est pas fait faute de favoriser par tous les moyens dont il disposait les louches intrigues du consul d’Allemagne à la Nouvelle-Orléans, — le succédané peut-être le plus dangereux de Bernslorff, — et que si, à eux deux, ils n’ont pas réussi à transformer la Louisiane en une sous-Germanie américaine, ce n’est pas faute d’y avoir travaillé.

— Rien d’étonnant à ce qu’il soit mal en point : la rupture