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chapeau, en feutre de laine, une masse de textiles dont son aïeul immédiat eût juré ne pas pouvoir trouver l’emploi. En 1823, la baisse de prix du fil de coton suscita une crise attribuée à la surproduction ; or, il était mis en œuvre à cette date 28 millions de kilos, au lieu de 340 millions il y a six ans, et nul de nos concitoyens ne se plaignait hier qu’il y en eût trop.

Cependant, ce coton seul, ou du moins la portion utilisée en France, représentait 7 kilos par tête, c’est-à-dire, au poids moyen de 120 grammes par mètre carré, quelque 58 mètres de tissus, sans parler de ceux de laine et de lin également accrus. Ce ne sont pas les classes fortunées qui auraient pu absorber ces millions de kilomètres d’éloffes nouvelles. Ces classes sont peu nombreuses et leurs besoins, à cet égard, étaient déjà satisfaits.


II

Mais, pour que chez les plus humbles prolétaires les mêmes besoins pussent s’éveiller et se satisfaire, l’abondance de la matière première ne suffisait pas, il fallait une révolution de la façon. Même pour la soie, qui valait avant la guerre 30 francs le kilo, — a fortiori pour la laine et le coton, — il entre dans le prix du mètre d’étoffe beaucoup plus de main-d’œuvre que de substance. Le machinisme a réalisé ce paradoxe de payer l’ouvrier plus cher et la façon meilleur marché ; de sorte qu’un peuple immense d’acheteurs a surgi, capables d’acquérir avec leurs salaires doublés des tissus offerts à moitié prix. Fileuses au fuseau et au rouet, tisserands battant le métier à bras, ces hommes de l’ancien monde travaillaient comme des machines ; les machines du monde nouveau travaillent comme des hommes.

Car ces machines n’ont pas seulement soulagé l’humanité de produire, à la sueur de son front, la force simple et brutale ; elles ont appris de leurs maîtres, — les inventeurs et constructeurs, — à se comporter avec l’adresse et la sagacité d’une créature vivante, qui se perfectionnerait sans relâche et qui, besognant de plus en plus vite, ferait de plus en plus d’ouvrage. Telle est en résumé l’histoire de ces mécaniques multiples et compliquées, dont les mains de fer transforment les gousses de