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et « boucarans, » tous humbles tissus de 2 à 4 francs le mètre. Encore leur bon marché ne suffisait-il pas à les recommander et y avait-il économie à employer des qualités plus solides, puisque c’est de 5 à 10 francs le mètre que se payent du XIIIe au XVIIIe siècle, les draps pour cottes de servantes, sayons et hauts-de-chausses d’ouvriers, manteaux que les lépreux, « mis hors du monde, » recevaient lors de leur séquestration officielle, pour les robes de malades dans les hospices et autres draps d’aumônes, achetés « pour habiller les pauvres. » Combien médiocres étaient ceux-là même, on s’en rend compte en voyant qualifier de « communs » les draps qui coûtent plus du double : 11 à 24 francs.

Quant à l’« écarlate, » — écarlate au moyen âge ne désignait pas une couleur, mais une espèce de drap, la plus estimée de toutes, -— elle valait 175 francs le mètre (1376). Scandalisé de pareils chiffres, un contemporain écrivait, que cent ans avant, « du temps de saint Louis, rois et reines étaient vêtus de draps non de Malines ou de Bruxelles, mais de Gonesse. » Si le reproche de ce prôneur du temps passé s’adresse à Charles V, alors régnant, on peut lui opposer le « Livre des faits et bonnes mœurs du sage roi Charles » où Christine de Pisan nous garantit que ce prince « ne souffrait point que nul homme de sa cour, tant fut noble ou puissant, portât trop courts habits ni trop outrageuses poulaines, ni femmes cousues dans leurs robes trop étreintes ni trop grands collets… »

Pour saint Louis, j’avoue ne pas savoir où il achetait son drap ; mais il était, en effet, moins fastueux que ses fils et petits-fils, si l’on en croit le bon Joinville, qui écrivait : « A l’occasion des cottes brodées à armer qu’on fait aujourd’hui, — c’est-à-dire vers 1308, sous Philippe le Bel, — cela me rappelle le père, du Roi qui règne à présent (Philippe le Hardi) ; je lui disais que, en la vie d’outre-mer où j’étais, je ne vis cottes brodées au Roi (saint Louis) ni à d’autres, et il me dit qu’il avait tels atours brodés de ses armes qui lui avaient coûté 800 livres parisis (80 000 francs de 1913). Et je lui dis qu’il les eût mieux employées s’il les eût données pour Dieu et si eût fait ses-atours de bon cendal enforcé de ses armes comme son père faisait. »

Les rois se suivent et ne se ressemblent pas ; tous ne furent pas prodigues pour leur toilette ; on voyait dans les registres