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rang au-dessus des simples bourgeois. De retour à Londres, toute cette défroque lui devient inutile. Au point de vue du goût, les modes des deux pays sont également absurdes, mais nos marchands ont une évidente infériorité, car les poupées de leur façon ne passent pas à Paris ni dans aucun lieu de l’Europe. »

Seize ans plus tard (1705), le même voyageur notait avec satisfaction que « les Français commencent à imiter les Anglais. La dernière fois que je vins à Paris, une personne d’une certaine condition (homme ou femme) ne serait jamais sortie si ce n’est en grande toilette, quelle que fût l’heure de la matinée, et l’on ne portait pas encore de perruque ronde ; mais à présent il s’en voit grand nombre le matin dans les rues, ainsi que des redingotes. »

La mode britannique, dont cet Anglais saluait ainsi l’empire nouveau sur le continent, ne fut adoptée que par le sexe fort. Les femmes de tous les pays demeurèrent soumises aux caprices du goût parisien et, comme les articles de leur toilette sont beaucoup plus nombreux, il y a, dit ce même autour, « de quoi rendre malade un mari de voir sa femme, à son arrivée en France, obligée de changer et rafraîchir tous ses fourreaux et négligés. Il lui faut de nouveaux chapeaux, de nouveaux, rubans, de nouveaux souliers et ses cheveux coupés d’une autre manière. Elle doit avoir ses taffetas pour l’été, ses soieries à fleurs pour le printemps et l’automne, ses satins et damas pour l’hiver. »

Dans les petites cours, allemandes, les dames faisaient venir de Paris des « poupées » pour leur faciliter la commande, à leur taille, des « corps » et garnitures de blonde, avec cornettes, fichus, « engageantes » ou autres ajustements. C’était une faveur recherchée des étrangères à Paris, au temps de Marie-Antoinette, que d’aller voir le matin la garde-robe de la Reine, les « grandes robes » surtout, « d’une richesse et d’une élégance inconcevables. » La Révolution n’ébranla pas notre suprématie, — en pleine Terreur, dit-on, et malgré la guerre entre les deux pays, la poupée française parvint régulièrement à Londres chaque semaine, — et l’on retrouvait sous le Consulat des cachemires à 10 000 francs et des jupons de dentelles à, 12 500 francs ; seulement, c’étaient alors les femmes de fournisseurs des armées qui payaient et portaient les objets de ce prix.