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bien pris. En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, il s’évapore au nez et à la barbe des soldats ahuris. L’évasion de ce religieux est un chef-d’œuvre du genre.

Une autre fois, c’est au grand collège Saint-Michel que les troupes du gouverneur, — ils sont plus de deux cents soldats, — se rendent ridicules. Le magnifique établissement est plein de prohibés, mais les fins limiers se font rouler avec une naïveté de grand style. À coups de pics ils s’attaquent aux murs énormes de la chapelle, persuadés qu’ils vont découvrir derrière ce rempart la fameuse « cave automobile. » Rien, toujours rien ! Tantôt, c’est un Boche fureteur qui passe à travers un lattis. Tantôt, c’est une compagnie qui se repose, sans s’en douter, à côté des cachettes, et quand les matins découvrent, dans un coin du grenier, une valise oubliée pleine de Libre Belgique, ils ont le triomphe court devant l’aplomb d’un jésuite qui leur répond : « Ça, c’est vous qui l’avez apporté ! »

Il faut dire un mot de ceux qu’on traqua comme des fauves et qu’un hasard jeta dans le bras des hommes de la Kommandantur.

Philippe Baucq, un jeune architecte de talent, père de deux charmantes fillettes, est un des martyrs dont la Libre Belgique s’honore. Ce beau lutteur était de toutes les entreprises périlleuses : avec Miss Cavell il faisait de l’espionnage, avec nous il faisait de la propagande. On filait Mlle  Thuliez. La courageuse Française vient un soir demander asile pour la nuit, rue Victor-Hugo, chez notre ami. Quelques instants plus tard, on prenait Philippe à la gorge. D’une pierre, les Allemands avaient fait deux coups. Hélas ! Baucq paya de sa vie son admirable patriotisme…

Ils l’ont fusillé !

Ils l’ont fusillé sans doute parce qu’il avait magnifiquement servi, mais ils ne lui ont pas fait grâce, surtout et avant tout parce qu’il avait été un des soldats ardents de la Libre Belgique.

Après ce héros, disparut brusquement un des fondateurs du journal clandestin, Eugène Van Doren. Sur le point d’être pincé, il parvint à s’enfuir par le jardin, tandis qu’on sonnait à sa porte. De maison en maison, toujours poursuivi, il se cacha sur un toit et dépista les limiers attachés à ses pas. Après quoi, il se retira chez des amis et pendant deux ans et demi environ