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Les Allemands abusaient vraiment du droit d’être bêtes. Un jour, une dénonciation anonyme signale à Bissing l’endroit où habitent les directeurs de la Libre Belgique. Vite un officier range des soldats. Ils vont au pas de parade vers la place des Barricades, une petite place historique où Victor Hugo exilé trouva jadis une hospitalière demeure, en face d’une vieille statue dressée dans un jardinet grand comme une assiette. Le lieutenant cherche, pour l’arrêter, un certain André Vésale qui recèle les conjurés, et il le trouve enfin… juché sur son socle de pierre. — Arrêter un grand anatomiste belge mort au XVIe siècle, la belle aventure !

Nos gamins eux-mêmes se faisaient une fête, quand les trams étaient encombrés, d’attacher la Libre Belgique au pan du manteau gris d’un officier haut gradé. Le bonhomme s’en allait, traînant son sabre, sans se douter de la gaieté discrète qu’il faisait naître sur son passage.

Le succès du vaillant petit journal s’accentuait. Âpre, violent, un peu canaille à l’occasion, criant toujours et quand même sa confiance indéfectible en la victoire finale, il était lu avec avidité. C’est lui vraiment qui menait la campagne de résistance acharnée. L’abbé van den Hout, professeur à l’institut Saint-Louis, avait assumé parallèlement avec les jésuites une part du fardeau formidable de l’administration du journal. Le clergé séculier et le clergé régulier luttant de désintéressement, s’oubliaient pour ne penser qu’à leur tâche patriotique.

Un des rédacteurs de la Libre, Fidelis, dont la tête avait été mise au prix de 100 000 marks, arrêté déjà pour d’autres motifs en 1917 et condamné à deux mois de prison et à 3 000 marks d’amende sans qu’on eût, cette fois-là, découvert son incognito, fut de nouveau, le 29 janvier 1918, appréhendé chez lui, tandis qu’à quelques jours de là, on amenait à la prison un autre collaborateur, Ego, et le Père Delehaye, bollandiste de grand renom, aussi modeste que distingué.

C’était une débâcle, mais non la défaite !

Fidelis trouva cependant le moyen d’écrire dans sa cellule des articles de plus en plus mordants contre l’oppresseur, de plus en plus confiants dans la victoire. Sa femme et sa fille, à peine sorties de prison elles-mêmes, parvinrent à le ravitailler. Au moyen d’une bouteille « Thermos » elles lui passaient des renseignements que le prisonnier utilisait pour donner de