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à leur réalisation ses deux voisins l’Allemagne et l’Autriche, devaient logiquement conduire un empereur aussi pénétré de sa mission que l’était Alexandre III, à rechercher une alliance française. Malheureusement, la conscience du souverain parlait plus haut que les intérêts de sa politique, et telle était sa haine du radicalisme qu’elle le rivait pour ainsi dire malgré lui à l’Allemagne. De là une situation faussée, compromettante pour l’œuvre qu’il poursuivait. Sous la pression d’un danger national, il aurait pu, malgré ses préventions, se rapprocher d’un gouvernement républicain modéré qui, avec une alliance d’occasion, lui offrirait les moyens de s’affranchir du joug allemand, et c’était là d’ailleurs la solution à laquelle il devait se rallier plus tard. Mais encore à cette heure, sous l’empire de sa foi monarchique et religieuse, il préférait affronter seul la lutte, le jour où il se révolterait contre la sujétion à la puissance allemande, que transiger avec sa conscience, en faisant un pacte avec une France gouvernée par un parti dont les doctrines étaient en opposition absolue avec tout ce qui était à ses yeux la base même d’une société organisée.

Le récent mariage de son beau-frère, le prince Waldemar de Danemark, avec la princesse Marie d’Orléans en l’alliant à la branche cadette des Bourbons, ne pouvait que le rendre plus sensible à l’expulsion des princes de cette maison.

Telle est la genèse de l’irritation que l’événement détermina en lui. Ainsi se grossissaient ses griefs contre le gouvernement de la République ; un mauvais sort semblait avoir été jeté sur les relations des deux pays. Affaire Hartmann sous le règne d’Alexandre II ; affaire Kropotkine cous celui d’Alexandre III, rappel du général Appert, expulsion des Princes d’Orléans, c’était vraiment jouer de malheur.

Le chargé d’affaires de France, M. Ternaux-Compans, n’ignorait pas les dispositions de l’Empereur ; ses conversations avec Giers et les assistants de celui-ci, Vlangaly et Jomini, les lui avaient révélées, alors qu’il s’attachait avec un zèle patriotique à mettre un terme à une situation aussi anormale. Mais c’est seulement au mois de juillet qu’il connut l’impression produite sur l’Empereur par la décision du gouvernement français concernant les Princes. Elle lui fut révélée par Giers, quand celui-ci revint de Livadia. Durant son séjour auprès du Tsar, il s’était efforcé de le ramener au calmé et il croyait