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Maintenant la glace était rompue ; passant du ton solennel au ton familier, l’Empereur parla du général Le Flô dont il garderait toujours le meilleur souvenir. Le général Appert fut aussi l’objet de ses éloges, mais sans qu’il fût lait aucune allusion aux incidents qui avaient suivi son départ. Laboulaye écrivait alors à Paris qu’il emportait de ce premier entretien la conviction qu’il avait un noble but à poursuivre et de grandes chances d’y parvenir par une constante application à vaincre les préventions du Tsar. Constatons en passant que c’est à M. de Freycinet qu’avait été fait par l’ambassadeur le compte rendu de cette suggestive conversation, mais que, quelques semaines plus tard, M. de Freycinet quittait le pouvoir et que le député Goblet qui lui succéda confia à M. Flourens le portefeuille des Affaires étrangères.

Durant le séjour que va faire au quai d’Orsay M. Flourens, nouveau venu dans la carrière diplomatique, et n’ayant exercé jusque-là que des fonctions administratives, la question de l’alliance franco-russe marchera à pas de géant, sinon dans l’esprit de l’Empereur, du moins dans l’opinion publique. Cette alliance, Laboulaye en quittant Paris ne la prévoyait pas ; ce fut seulement après la première audience que lui accorda l’Empereur qu’il en entrevit la possibilité. Mais, même à ce moment, il ne la croyait possible qu’à une échéance lointaine. Le peuple la voulait, mais l’Empereur n’y était pas encore préparé, bien qu’il fût visible que, de plus en plus, les circonstances tendaient à la lui imposer. Lorsque le nouvel ambassadeur de France débarquait à Saint-Pétersbourg, la politique impériale avait pour base une entente intime avec l’Allemagne et l’Autriche. À cette politique succédait maintenant celle des mains libres.

C’était au commencement de l’année 1887, à la veille du jour où l’alliance des trois Empereurs allait prendre fin et dès le mois de janvier la Gazette de Moscou, dirigée par Katkof, félicitait le gouvernement impérial d’y renoncer. « Les Français n’oublieront jamais 1870 ; les Russes se souviendront toujours du traité, de Berlin qui leur fait monter le rouge au front. Aucun ennemi avoué n’a fait autant de mal à la Russie que l’amitié allemande. »

Mais il s’en fallait de beaucoup, nous l’avons dit, que les dispositions de l’Empereur répondissent à ce vœu. À cette