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époque, elles peuvent se résumer comme suit : secouer le joug allemand, mais ne pas se lier par ailleurs et conserver son indépendance.

On a raconté que l’initiative de la rupture de l’alliance des trois empereurs avait été prise par l’Allemagne et contrairement au désir d’Alexandre. Cette version semble bien invraisemblable quand on se rappelle l’attitude du chancelier allemand et quand on le voit multiplier ses efforts pour retenir la Russie à ses côtés et la garder sous sa main. Il est évident qu’il veut ressaisir l’influence qu’il sent lui échapper. Il adresse au Cabinet de Saint-Pétersbourg ses sourires les plus engageants : « Je suis indifférent aux affaires d’Orient, insinuait-il. En Orient, en Bulgarie, faites ce que vous voudrez et laissez-moi libre en Occident. » Bientôt après, l’offre se précise. Le comte Pierre Schouvaloff, ancien ambassadeur de Russie à Londres, s’arrête à Berlin pour embrasser son frère qui s’y trouve en la même qualité auprès du gouvernement d’Allemagne. Il va voir Bismarck qui l’accueille par ces paroles : « Votre Empereur me croit donc fou qu’il suppose que je songe à me jeter sur la France ? » C’est à la mi-janvier qu’il le lui dit ; mais le mois suivant le général Schweinitz, ambassadeur allemand à Saint-Pétersbourg, fait demander une audience à l’empereur Alexandre et lui annonce confidentiellement qu’il est chargé par son souverain d’interroger Sa Majesté sur le point de savoir « si Elle voudrait contribuer à la paix en s’engageant à rester neutre en cas de conflit entre l’Allemagne et la France. Elle pourrait alors faire en Orient tout ce qu’Elle voudrait et compter sur l’appui du Berlin pour résoudre la question bulgare. » La proposition ne trouble pas l’Empereur, bien qu’elle doive le surprendre. Il y répond par un refus bref et catégorique, soupçonnant peut-être que Guillaume Ier n’y est pour rien et qu’elle constitue simplement une manœuvre du chancelier, soupçon d’autant plus fondé qu’il n’ignore pas que l’Allemagne active ses préparatifs militaires, crée les cadres de nouveaux bataillons et les envoie en Alsace et en Lorraine comme pour provoquer la France.

D’ailleurs, a cette date, tout le monde comprenait que l’Europe entrait dans une phase nouvelle où la Russie pourrait jouer un rôle indépendant et la France reprendre ses droits de grande Puissance. Et comme l’édifice allemand avait reposé