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répondant d’une façon très heureuse à la vaste entreprise de librairie allemande installée à Olten.

Des conférenciers se sont succédé ; on les accueillait avec enthousiasme, parce qu’ils venaient de France. Quelquefois, il aurait été désirable que certains d’entre eux, puisqu’ils s’adressaient à des Suisses, fussent mieux au courant de la vie suisse, des nécessités, des circonstances… On en revient toujours là : se mieux connaître !

Ceux qui sont allés auprès des Suisses alémaniques et qui ont su pénétrer leur naturelle réserve, ont senti le culte naïf et discret que l’âme populaire porte à la France. Tendresse qui ne sait pas toujours se traduire en paroles, mais que nous devinons dans les regards et les intonations… Amour secret qui conduisit à la Légion étrangère bon nombre de jeunes gens des cantons alémaniques, dont beaucoup ne savaient même pas le français… (Ils réclamaient des grammaires françaises qu’on leur envoyait dans les tranchées.) Pourquoi donc aimaient-ils, au point de lui offrir leurs jeunes vies, ce pays qu’ils ne connaissaient point ? Sans doute la France incarnait pour eux la révolte du bon droit et la cause de la liberté. Mais ils avaient aussi quelques-unes de ces raisons intimes qui ne s’expriment pas : parce que c’était elle, parce que c’était moi… « Quand vous irez là-bas, faites nos amitiés à nos camarades de France, » écrivait un soldat zurichois qui n’avait jamais été « là-bas. » Une ouvrière bâloise envoyait pour les blessés français des blagues à tabac et des porte-cigarettes de cuir qu’elle avait confectionnés, après son travail de la journée. Sans doute, elle non plus n’avait jamais été « là-bas. »

Et si les Suisses alémaniques aiment tant Genève, s’ils nous disent parfois : « Genève, je l’aime comme si j’y étais né, » c’est peut-être qu’ils sentent sur elle comme un reflet de cette âme prestigieuse qui leur échappe et les attire, et qu’ils redoutent un peu aussi, parce qu’ils sont timides et qu’ils ne savent pas très bien la comprendre… Et nous savons aussi que c’est à nous de la leur rendre intelligible.

— La meilleure propagande, c’est la victoire ! nous ont dit des amis français.

Pour nous, la meilleure propagande, ce fut la justice d’une cause et l’injustice de l’adversaire, ce fut le contact avec les victimes spoliées.