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préparation : la plupart des discours les plus remarquables qu’il prononça à la Douma eurent le caractère d’improvisations. Le plus souvent il montait à la tribune sous le coup d’une impulsion soudaine, sans manuscrit et même sans notes, et tenait pendant plus d’une heure l’auditoire sous la domination de sa parole enflammée. Un léger défaut de prononciation, commun à presque toute la famille de sa mère, disparaissait alors complètement, et c’est d’une voix claire et vibrante qu’il lançait ces phrases « ailées » dont il avait si souvent l’inspiration et qui devenaient, après chacun de ses discours, comme une parole de ralliement pour une grande partie du public russe. Ce fut, à cette époque, un avantage inappréciable pour le Gouvernement de pouvoir opposer à ses adversaires des orateurs de la force de M. Stolypine et de la clarté de M. Kokovtzoff.


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Lorsque, après avoir pris contact avec les personnages qui formaient le Cabinet si hétérogène de M. Goremykine, je me tournai vers la Douma, le spectacle de l’étrange composition de cette assemblée me parut tout aussi déconcertant.

On se rappelle combien je fus frappé, à la cérémonie du Palais d’hiver, par le grand nombre de paysans qui figuraient parmi les députés. Aux termes de la loi électorale, la Douma devait compter 524 membres ; mais au moment de sa réunion, les élections n’ayant pas encore été terminées dans certaines parties de l’Empire, ceux-ci ne dépassaient pas le chiffre de 500. Sur ce nombre, 200 appartenaient à la classe paysanne ; après eux venaient les Cadets qui avaient remporté, pour les raisons que j’ai déjà expliquées, une victoire éclatante non seulement sur les conservateurs, mais encore sur les libéraux modérés ou octobristes. Le parti Cadet, à tendances nettement radicales, très compact et fortement organisé, comptait 161 membres ; il était renforcé par deux groupes de nuance radicale moins accentuée, mais qui votaient invariablement avec les Cadets : le « parti des réformes démocratiques » et le « parti de l’ordre légal. » Ces deux groupes étaient numériquement restreints, mais il y avait dans leurs rangs des personnalités très marquantes. Le parti libéral modéré ou octobriste n’était représenté que par quelques députés et se confondait presque avec