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d’une longue distance de 800 à 1 000 mètres et plus, ils lancent, le 21 février 1916, leur infanterie à l’abordage, et, par ce procédé inusité, ils obtiennent la surprise, — du même coup, la rupture. Ils ont emporté nos lignes sur dix kilomètres, les ont dépassées : ils marchent librement sur Verdun, quand, au cinquième jour, de nouvelles forces françaises, hâtivement appelées, leur barrent le chemin. En rase campagne, hors de toutes tranchées, les deux infanteries se heurtent, et désormais se heurteront sans fin, tout en travaillant l’une et l’autre à organiser le terrain, soumises l’une et l’autre à un même régime de feu, qui fut chose terrible.

La méthode consiste à concentrer à la fois le tir de pièces de tous les calibres non pas sur une ligne, mais sur une zone ; non pas seulement sur la position que l’on veut emporter, mais aussi loin que possible en arrière sur tout ce qui peut l’étayer. L’image expressive du système n’est plus celle du bélier qui frappe contre une muraille, mais celle du pilon qui tombe d’aplomb et qui martèle la zone encerclée. La zone encerclée, c’est le coin de terre où les vieux territoriaux qui camouflent un chemin aux arrière-lignes courent presque autant de périls qu’en d’autres batailles les hommes d’une vague d’assaut ; où, tant que le pilon tombe et retombe, pas une corvée de vivres ou de munitions ne peut franchir trois cents mètres sans être anéantie ; où les blessés, dans les postes de secours effondrés, délirent, faute d’air, pris de frénésie collective ; où souvent un quart rempli d’eau, c’est la vie d’un homme. Et la zone encerclée a pour limite une étroite bande de terrain que les deux artilleries essayent d’épargner parce que les deux infanteries y luttent emmêlées, à la grenade, à la mitrailleuse, au lance-flammes, et s’y disputent l’avance au mètre carré.

Devant Verdun, un jour, le chef d’une troupe fraîche demande à l’officier de chasseurs qu’il vient relever : « Par où passe notre ligne ? — Allez : là où vous trouverez par terre mes chasseurs tués, bien rangés côte à côte, par la passe notre ligne. »

Devant Verdun, un jour, un chef de bataillon, privé de tout autre moyen de liaison, envoie tour à tour au poste de commandement du colonel vingt coureurs : ils doivent suivre une certaine piste pour aller, une autre pour revenir. Pas un ne revient ; le lendemain, il les retrouve tous les vingt, dix tombés sur la piste d’aller, dix sur la piste de retour.