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surgir parmi les enthousiasmes et péricliter sous les quolibets, des réactions imprévues ressusciter à une vie glorieuse des œuvres quæ jam cecidere, des Watteau et des Fragonard être successivement applaudis, puis bafoués, puis de nouveau divinisés, un Ingres parvenir au pinacle, puis servir de plastron aux brocarts de toute une génération, puis se retrouver subitement réinstallé dans l’Olympe des maîtres. Tout ainsi a pu évoluer dans le sentiment de l’art et la religion du beau, tout a pu disparaître, — mais la coutume de défiler, au printemps, devant des tableaux, point. D’où l’on voit que l’humanité tient plus à ses rites qu’à ses dogmes.

Cette année, quoiqu’à demi ouvert seulement aux peintres et continuant à abriter des soldats, le Grand Palais est rendu à sa destination première. Les deux Salons dits « des Champs-Elysées » et « du Champ de Mars » y sont réunis sous ce vocable compliqué, formulé, semble-t-il, pour mettre en garde contre l’idée que la réconciliation pourrait être définitive : « Exposition au profit des œuvres de guerre de la Société des Artistes français et de la Société nationale des Beaux-Arts. » Ainsi, la scission jadis provoquée par les Puvis de Chavannes et les Meissonier continue : c’est l’armistice, ce n’est pas la paix. Le visiteur bénévole n’y met pas tant de malice : pour lui, c’est le Salon de 1919. Une section particulière, dans les salles de la Société nationale, signalée par des faisceaux de fusils et des drapeaux, groupe les œuvres des artistes mobilisés pendant la guerre. Çà et là, des nœuds de crêpe désignent celles des artistes tombés à l’ennemi. Combien plus nombreux qu’en 1870-1871 et, quoique moins illustres, aussi sincèrement pleures ! Les combattants ont parfois pu travailler dans la tranchée, envoyer quelques croquis, brosser, aux heures de permission, quelques études, mais rarement consacrer assez de temps et d’efforts à une œuvre de longue haleine. Aussi, sont-ils mal représentés, d’ordinaire. A la sculpture, le vide est plus sensible encore. Il est manifeste que le temps a manqué aux jeunes gens pour donner leur mesure. Tout cela prête aux Salons, cette année, un aspect un peu moins brillant et moins complet que d’habitude, mais n’en change point le caractère.

D’autant que les petits salons, d’à côté, les expositions privées et les rétrospectives s’ouvrent à point pour réveiller la curiosité endormie en 1914. Le Cercle de l’Union artistique a groupé