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précisément à l’époque où l’esprit humain venait de recevoir de fortes commotions et où chacun trouvait soit dans ses alarmes, soit dans ses jouissances, de nouveaux motifs de s’attacher au sol héréditaire… » Et après avoir déploré que sous le Régent et sous Louis XV « la peinture n’ait pas brillé d’un plus grand éclat, » parce « qu’aucun sentiment généreux ne germant dans les cœurs, » la peinture n’avait « rien à reproduire, » le même critique s’étonne que les traits d’héroïsme observés sous la Révolution et l’Empire ne trouvent pas leurs mémorialistes dans l’Art. En effet, ce qui frappa au Salon de 1819, ce fut seulement l’abondance, sinon la valeur des tableaux religieux. Et quand on parcourt les livrets des expositions qui ont immédiatement suivi l’épopée impériale, on est surpris d’en trouver si peu de traces. C’est que l’Art, autrefois comme aujourd’hui, a sa vie propre ou son orthogénèse, qui se poursuit selon des lois mystérieuses et internes, qu’il n’est point si facile de déterminer. Il n’est pas et n’a jamais été fonction des événements, mais des idées ou des sentiments sur ces événements, ce qui est tout autre chose. Il peut donc arriver, à de certains moments, qu’il soit moins une fonction de la vie qu’une revanche sur la vie. C’est le « désir, » et non le fait, qui est « le père de la pensée. »

Or ce désir est sans doute demeuré chez nous ce qu’il était avant la guerre : peut-être même s’est-il accru de ses lenteurs et de ses horreurs. C’est celui d’une vie paisible, animée par une fantaisie un peu irréelle, non exubérante, plutôt en retrait. C’est celle que Mme Aman Jean, René Ménard, Maurice Denis, Lucien Simon, Le Sidaner prêtent à leurs figures ou aux lieux que leurs figures ont hantés. Ah ! qu’elle diffère de la vie brutale, conquérante, cyclopéenne, toute tendue vers la domination universelle et implacablement fataliste qu’exprimait, hier encore, avant la guerre, l’art des Stuck et des Klinger, tout l’Art allemand contemporain ! On ne peut imaginer plus complète antithèse. Le haut panneau, décoratif que M, Aman Jean intitule Parade, ressemble à ces rêves délicieux où des figures effacées venant peut-être du fond du passé, entr’ouvrant peut-être les voiles du devenir, se groupent sans aucune raison intelligible, font des gestes injustifiables, demeurent malgré nos appels et notre curiosité, obstinément silencieuses et s’évanouissent au moment où nous croyons les saisir… On se réveille confus et ravi : on voudrait retrouver ce décor