Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/599

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et oblitéré par un millésime fameux atteint, dans une vente, cinquante mille francs par exemple, il ne s’ensuit pas que ce soit une « œuvre d’art, » ni qu’il donne à ceux qui le regardent les joies même esthétiques qu’un Léonard de Vinci ou qu’un Rembrandt. Cela prouve seulement que c’est une curiosité, et non pas même une curiosité pour tout le monde, ni pour beaucoup de gens, mais qu’il se trouve, sur le globe, quelques riches collectionneurs de timbres-poste émus à la pensée qu’un autre pourrait le posséder… Ainsi des tableaux « futuristes » ou « cubistes, » qui n’offrent aucun sens perceptible à la foule des modestes chercheurs d’émotions d’art, des naïfs contemplateurs de la nature, mais qui sont recherchés par quelques amateurs fiches, paradoxaux et blasés.


II

Il n’y a guère que le Portrait qui échappe entièrement aux frénésies novatrices des peintres. C’est qu’il se prête moins aux expériences. Le sujet est trop sensible et les plus hardis n’osent pas opérer sur le vif. Leur prétention de « voir ainsi » admise assez bénévolement par le public tant qu’il s’agit de déformer un arbre ou un modèle d’atelier, de diffamer une montagne ou de déshonorer une allégorie se heurte à un tolle tel, s’il s’agit d’une personne présente, que le plus osé des théoriciens reste court. D’où, ce phénomène que, dans les écoles modernistes et selon les techniques impressionnistes ou néo-impressionnistes, il y ait si peu de portraits. Là, est la pierre de touche. Les excentricités picturales, qui se peuvent défendre par des arguments spécieux tant qu’il s’agit d’impressions lointaines et généralisées, décèlent tous leurs défauts et toutes leurs impuissances dans le thème limité, mais précis du portrait. Le même critique ou le même amateur qui les aura louées tant qu’il s’est agi de la tête des autres, deviendra beaucoup moins condescendant, s’il s’agit de sa propre tête. Le portrait est le garde-fou de l’Art. Aux pires époques, il reste bon. C’est qu’il n’est pas affecté par la mode artificielle qui régit la grande peinture, l’allégorie, l’histoire, même le paysage. Il l’est si peu que, souvent, on ne pourrait, d’après sa technique, reconnaître l’époque et le maître à qui on le doit : David, Ingres, Durer, le Titien, Rubens, van Dyck, Raphaël, sont moins de leur