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première conception de la nécessité d’une loi internationale. Ne fallait-il pas empocher, si possible, ces « grandes routes libres du monde » d’être accaparées par un peuple à l’exclusion des autres peuples ? Les quelques garanties dont on avait péniblement réussi à les entourer ne représentaient, hier encore, qu’un strict minimum. Ce minimum, le Gouvernement allemand l’a supprimé d’un trait de plume : il a ressuscité, plus effroyable que jamais, l’horreur sans nom des pirateries primitives, en instituant une guerre navale qui ne respecte rien, ni personne, pas même les voyageurs inoffensifs, pas même les femmes et les enfants dont les vies, » aux plus sombres périodes des temps modernes, » étaient tenues pour sacrées. « Le défi est jeté à l’humanité tout entière. » Chaque nation a le choix de la réponse qu’elle y fera. Celui de l’Amérique a le devoir d’être conforme à la modération de son tempérament. Elle écartera toute passion. Son mobile ne sera ni la soif de la vengeance, ni l’ambition d’affirmer victorieusement sa force : elle ne se préoccupera que de « défendre le droit, le droit de l’homme, » dont elle est, de par son idéal comme de par son histoire, un des éternels champions. Mais, entre les deux alternatives où elle est placée, il est un choix auquel elle ne consentira pas, auquel il n’est pas en son pouvoir de consentir…

Lequel ? Chacun, dans l’assistance, se le demande, en proie à la même fièvre qui me consume, j’en suis sûr. Les cous, les yeux, les oreilles, les âmes sont inexprimablement tendus. Pas un murmure, pas un souffle. L’atmosphère est si chargée d’attente qu’elle en est, à la lettre, irrespirable. Soudain, une dilatation instantanée. On dirait que les épaisseurs comprimées de silence qui, depuis le début du message, sont allées s’accumulant et se condensant dans l’enceinte ont fait explosion. De sa voix sobre, égale, et dont l’impersonnalité voulue ajoute je ne sais quoi de plus de solennel à sa parole, le Président vient de déclarer :

— Nous ne choisirons pas le sentier de la soumission…

Ah ! la grande, la belle, la fière, l’a jamais inoubliable minute ! Sans laisser au Président le temps d’achever le reste de la phrase, un cri a éclaté, un cri unique, jailli d’un millier de bouches à la fois, le cri, le vaste cri de la conscience américaine libérée, entonnant I’hosanna de sa délivrance. Seuls, trois sénateurs sont demeurés assis, l’un d’eux étant le trop fameux