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parfait état de défense, mais pour utiliser toutes ses ressources en vue d’amener le gouvernement impérial allemand à résipiscence et de terminer la guerre.

A l’exception toujours des trois sénateurs récalcitrants, la salle est de nouveau sur pieds. Moins inattendue, moins délirante, la manifestation n’en est peut-être que plus grandiose : elle revêt les allures majestueuses d’un triomphe. Si Woodrow Wilson a souffert d’une critique injuste dans le passé, cette heure le venge. Satisfait d’avoir rempli l’espérance universelle, il semble qu’il n’ait plus qu’à descendre de la tribune. Mais non : là où nous estimons sa tâche close, elle vient, pour lui, de commencer. Il y a quelque chose qui est plus essentiel, à ses yeux, que l’entrée de l’Amérique dans la lice, et c’est l’esprit dans lequel elle y entre. Lui qui interrogeait, hier, les nations belligérantes, sur leurs buts de guerre, il entend que son pays, au moment de s’engager dans la mêlée, fasse clairement, péremptoirement, connaître les siens. Et le voici qui les expose, avec quelle souveraine élévation de pensée, avec quelle incomparable maîtrise d’accent ! A sa voix, une Amérique surgit devant nous, en qui plus un trait ne subsiste de l’image caricaturale que tant d’observateurs de passage nous en ont peinte à la volée. Adieu l’Amérique superficielle des brasseurs d’argent et des prospecteurs d’or, hypnotisée dans la poursuite de l’ « omnipotent dollar ! » Salut à l’Amérique foncière, à l’Amérique authentique, à l’Amérique vraie, à celle qui, née du plus grand acte de foi des temps modernes, — la découverte de Colomb, — s’est conçue et affirmée, dès l’origine, comme une patrie des patries pour tous les croyants, pour tous les hommes de bonne volonté, à l’étroit dans les législations tracassières et les horizons bornés de la vieille Europe ; a celle qui s’est battue contre l’Angleterre, avec George Washington, pour revendiquer son indépendance, et qui s’est battue contre elle-même, avec Abraham Lincoln, pour affranchir ses propres esclaves ; à celle que Woodrow Wilson porte en lui, dont il est une des incarnations les plus hautes et les plus complètes, et au nom de laquelle il parle, à cette date culminante de son histoire, non plus au Congrès, mais au monde !

Cette Amérique-là ignore les antiques levains de haines nationales qui sont au fond du conflit européen. Elle n’a ni rancunes à assouvir, ni revanches à exercer. Elle est sans