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la Jeanne-d’Arc. L’amiral Browning en conçut-il de l’aigreur ? Toujours est-il qu’aussitôt débarqué, il enjoignit à son bateau de quitter incontinent les eaux américaines et de rebrousser chemin sur Halifax. Pendant que les matelots britanniques viraient de bord au milieu de l’indifférence universelle, la ville entière acclamait nos « cols-bleus, » tout de suite adoptés comme des, frères par les « Mlle jackets. » Sentimentalement du moins, la coopération navale entre la France et l’Amérique était déjà plus qu’établie… »


Lundi, 16 avril.

Dernier jour d’une mémorable semaine qui aura été proprement, pour Annapolis comme pour nous, celle de la Jeanne d’Arc. Entre le croiseur français et notre foyer américain d’Ogle Hall a fonctionné de façon quotidienne ou peu s’en faut une sorte de va-et-vient moral. J’ai vécu dans la communion de mes compatriotes des heures profondes, des heures ineffaçables. Je ne puis songer à les fixer toutes. Mais comment passer sous silence certaine soirée du vendredi 13 avril ? Il y a, quoi qu’on en dise, des vendredis 13 qui sont fastes.

Dans l’après-midi, les dames d’Annapolis avaient organisé une séance de cinéma pour les hommes de l’équipage qui étaient de permission à terre, et l’on m’avait demandé, à coite occasion, de leur adresser quelques mots dans leur langue, avec prière, surtout, d’obtenir d’eux qu’ils chantent la Marseillaise. Je leur lis donc un court « speech » en français ; puis, comme la plupart des faces que j’avais devant les yeux étaient indubitablement frappées à l’effigie de la Bretagne, je ne manquai pas de terminer par une demi-douzaine de phrases en breton, — ce qui me valut, à moi, sous la forme d’un « triple ban » trois fois répété, le plus retentissant des succès oratoires, et aux Annapolitains une Marseillaise braillée d’une telle ardeur que les murs de la salle, j’imagine, en répercutent encore les échos. Le soir, nous dînions sur la Jeanne d’Arc avec l’état-major du navire et descendions ensuite finir la veillée au carré des officiers, — le « coin de la jeunesse, » comme l’appelait le commandant Juin, « un joyeux ménage de garçons, » comme le qualifiaient eux-mêmes ses occupants. Assis autour d’une table de réfectoire, sous les poutrelles de fer d’une pièce basse, dans un clair obscur à la Rembrandt, nous