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d’Ypres, ils eurent la satisfaction d’y trouver au lieu de leurs marécages ce terrain sablonneux et sec, qui leur parut bien confortable. Cette chape d’un sable couleur de brique a donné sa teinte et son nom au Mont Rouge. Et c’est elle qui sur le Kemmel, quand le bombardement en eut arraché les forêts, apparut comme une chair écarlate sur des épaules écorchées.

C’est dans cet entonnoir que se précipitaient les armées du prince Ruprecht. Elles se déployaient là comme dans une sorte de manège, au fond d’un cirque partout environné de hauteurs dont leur flot venait battre le pied. On a peine à se figurer comment un adversaire de sang-froid peut en venir à se fourrer de lui-même dans ce cul-de-sac. Il est vrai que les Allemands, grisés par un mois de succès, finissaient par ne douter de rien. Ils venaient de vaincre tant d’obstacles qu’ils pouvaient croire que c’était un jeu de faire le reste et de bousculer sur les monts les débris de l’armée anglaise, avant de leur donner le temps de se ressaisir. On a vu de ces forteresses qui semblaient imprenables tomber comme par enchantement. Le tout est une affaire de vitesse et d’audace.

La première condition était d’élargir le saillant à la base. Les Allemands s’y essayèrent tout d’abord par le Sud. Mais là ils se heurtèrent à une des plus belles divisions anglaises, la 55me, dont les lignes ne bougèrent jamais devant Givenchy. Ce roc fut le salut des mines de Béthune. Contenus également à l’Ouest devant la forêt de Nieppe par la division Walker (1re division d’Anzacs), ils prirent le parti de se tourner vers le Nord et de manœuvrer par leur droite, espérant déborder rapidement les monts et réaliser, par la chute soudaine du saillant d’Ypres, une opération fructueuse. C’est une nouvelle phase de la bataille qui commençait.


II. — LES FRANÇAIS A LA RESCOUSSE

Cependant le général Foch, investi depuis le 26 mars du commandement suprême, n’avait pas attendu ce péril pour prendre ses mesures. Dès le 9 avril, aux premières nouvelles de la bataille, il accourt à Montreuil où réside le maréchal Haig ; il y revient le 10 à la fin de l’après-midi, après avoir vu le même jour le général Pétain.

Le maréchal Haig fort inquiet de la situation, incertain de