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Il l’avait découverte à la faveur des longs intervalles qui séparaient nos attaques. Ces pauses de plusieurs jours, voire de plusieurs semaines, étaient de l’essence même de notre méthode. Puisque c’est « l’artillerie qui conquiert » et par voie de « destruction totale, » « l’infanterie n’occupe » que ce que l’artillerie a pu détruire et conquérir, à savoir une zone peu profonde de terre bouleversée jusqu’au chaos, où l’assaillant a peine à s’installer. Si l’artillerie veut « conquérir » à nouveau et l’infanterie « occuper » à nouveau, il faut au préalable refaire les routes, organiser des positions de batteries nouvelles, etc. une armée de travailleurs y serait nécessaire ; et les jours passent, que le défenseur met à profit : tandis que l’assaillant remonte à nouveau sa machine à démolir, lui il appelle ses réserves, échelonne en profondeur des moyens nouveaux de résistance, prépare des retours offensifs.

Bien mieux : tandis que, en vertu de notre méthode, l’artillerie s’applique à écraser toutes les tranchées, tous les abris, tous les observatoires, etc. l’ennemi n’attend pas bénévolement dans ses tranchées, dans ses abris, dans ses observatoires, etc. que nous les ayons tous écrasés. Nous n’écrasons souvent que des organisations vides : l’ennemi s’en est évadé pour occuper d’autres positions. Il les trouve, et c’est ici l’innovation ingénieuse, en avant de la ligne fortifiée que nous bombardons. En avant de cette ligne s’étend toujours un vaste champ criblé de milliers de trous d’obus : il s’installe dans un certain nombre de ces trous, y répartit des mitrailleuses en échiquier, les relie entre eux, en forme de petits fortins invisibles (comment nos avions pourraient-ils les repérer, nos canons les prendre à partie ? ). Quand enfin nous lançons l’infanterie à l’attaque, nos vagues d’assaut se heurtent à ces îlots de résistance ; elles arrivent désunies à la ligne principale, d’où part une contre-attaque, qui les rejette parfois.

Sans doute notre infanterie, armée de ses grenades VB, de ses fusils-mitrailleurs, de ses canons de 37, etc. aurait pu, dès la bataille de la Somme, réduire par ses propres moyens ces îlots de résistance. Elle l’aurait pu, en théorie ; mais pour que la vérité théorique devint la vérité du champ de bataille, il avait manqué à nos fantassins le loisir de s’entraîner au maniement de ces armes, trop nouvelles encore pour eux.