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que pour l’avenir ces quinze jours de la bataille des Flandres marquent dans l’histoire de la campagne de 1918 la principale péripétie. On voit les Allemands arrêtés devant Amiens, chercher quatre jours après une brusque diversion dans le Nord. Ils réussissent, ce succès les amène dans un cul-de-sac ; ils veulent en sortir, remportent au Kemmel un gros succès, puis sont de nouveau arrêtés définitivement. Cependant ils s’enferrent : chaque nouveau combat les engage à augmenter la mise ; en trois semaines, ils ont engagé dans cette diversion 49 divisions, c’est-à-dire le tiers de leurs forces combattantes. De cette saignée l’armée allemande ne se releva pas.

Il y eut enfin une conséquence plus grave et de portée incalculable. A partir de la bataille du 9 avril, c’en est fait en Allemagne de l’unité de direction. Le bonheur de cette opération latérale fait abandonner le principe de l’unité de manœuvre, pour une méthode toute contraire d’attaques divergentes, à communiqués éclatants, à gras butins et à pillage, dont la bataille du 27 mai est l’exemple le plus mémorable. Nous savons aujourd’hui que l’affaire d’avril devait avoir une suite et se conjuguer le 21 juillet avec la reprise d’offensive on Champagne. (Toujours, on le voit, ces coups à la gloire des Kronprinz). Elle fut décommandée par suite de notre contre-offensive, — parce que Foch à cette heure est le maître du jeu et que c’est à lui maintenant d’ « abattre, » — mais ce plan, s’il avait été exécuté, n’était-il pas le type même de ces actions doubles, que condamnent tout l’art et toute l’expérience de la guerre ? Que fût-il arrivé, si l’affaire du 9 avril avait échoué ? Son succès décida de celui de la campagne. A dater de ce jour, l’Allemagne se précipite dans cette voie d’attaques incohérentes, d’offensives à sensation, de surprises, de coups de théâtre et de hasards qui devait, en deux mois, la mener à l’abîme.


Louis GILLET.