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westphaliennes. De cette manière, la Prusse aurait été séparée de la frontière française par deux petits États intermédiaires.

Si elle renonçait à s’étendre sur la rive gauche du Rhin, elle tenait toutefois à en occuper solidement la vallée, et Hardenberg motivait ce désir sur des considérations utiles à retenir à l’heure actuelle : « Il est essentiel pour la sûreté de la Prusse, écrivait-il, que le Rhin lui soit donné. Mais rien ne me semble plus fâcheux que de faire une frontière du cours d’un fleuve : c’est là un principe de division militairement insuffisant, politiquement dangereux. Les deux rives doivent appartenir à la même puissance. C’est pourquoi la Prusse réclame formellement, à gauche du Rhin, entre Mayence et Wesel, une « lisière » de largeur variable, mais comprenant environ 422 000 habitants. »

Malgré cette dernière précaution contre une invasion possible, on peut s’étonner de voir la Prusse renoncer d’elle-même, lors de sa recomposition, à ce rôle de « Sentinelle du Rhin » qu’elle devait revendiquer plus tard avec tant d’âpreté. C’est en France surtout que nous nous sommes habitués à soutenir la nécessité de ne pas laisser son territoire en contact immédiat avec notre frontière : il est curieux de constater que ce soit là une idée d’origine toute prussienne, professée par toute une école de publicistes et d’hommes d’État. Dès 1813, dans un mémoire sur la future constitution allemande, le baron de Stein préconisait la formation sur le Rhin d’ « un nouvel État intermédiaire, qui serait le bastion de l’Allemagne contre son ennemie naturelle. » Un peu plus tard, à Francfort (décembre), après un entretien avec lui, Humboldt fondait la même thèse sur une théorie complète des « États-tampons » destinés à prévenir par leur interposition les chocs possibles entre les grandes nations militaires. Après la victoire enfin, les principaux ministres et généraux prussiens, réunis à Paris pour délibérer en commun sur la reconstitution de leur monarchie (29 mai 1814), résumèrent dans un mémoire officiel des conclusions partant de ce principe « qu’il était préférable de ne pas laisser la Prusse en contact immédiat avec la France. » En réalité, ainsi qu’ils eurent mainte occasion de l’expliquer, ils tenaient moins à l’extension qu’à la consistance de leurs territoires et à l’augmentation qu’à l’homogénéité de leurs populations. A ce double point de vue, pouvaient-ils