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exactement un Boche, le capitaine von Hartig : nous le détesterons. L’autre, non ; car il est de nationalité allemande, mais de race et d’âme plus douce, l’aimable et triste rêveur Levinski, un Polonais. Dans sa jeunesse, il a souhaité la vie hasardeuse, au grand air de l’Océan. La guerre éclate : il est lieutenant de vaisseau ; on le désigne pour second du sous-marin l’U-51, capitaine von Hartig. Et ces deux hommes, qui ont à vivre côte à côte et qui sont ensemble au même travail, font un contraste bizarre et douloureux. Levinski a l’horreur de sa tâche ; mais l’autre commande : il obéit. Et la souffrance de Levinski serait un épisode de « grandeur et servitude militaires, » si l’auteur n’avait eu un dessein plus romanesque : l’auteur nous fait aimer son Levinski pour les malheurs qu’il endure. Ce Levinski est amoureux. Sa bien-aimée n’est pas digne de lui. Et n’est-elle pas digne de lui, l’infortunée Maria Lesser, de son vrai nom Maria Lassievitch ? Elle a commis des fautes lamentables ; elle a été servante au bar ; et, parmi ses amants, elle se souvient de von Hartig. Maintenant, quasi rangée, elle a un emploi dans la police et l’espionnage : l’une de ses fiches a eu cette conséquence de faire désigner le bon Levinsky pour l’U-51. Levinski devrait la mépriser et haïr. Il ne sait rien d’elle et ne veut rien savoir d’elle : il l’aime. Et elle aussi vient à l’aimer, de l’amour le plus délicatement pur. Changer ainsi ? N’attendez pas une romantique anecdote de réhabilitation morale. Tout simplement, Maria dit : « La souffrance prépare plus à l’amour qu’elle ne vous en garde… » Elle n’essaye pas d’analyser davantage son changement ; l’auteur non plus ne l’essaye pas. Maria aime Levinski ; et Levinski aime Maria. Il est Polonais d’origine ; et elle, par sa mère, est d’origine russe : par sa mauvaise chance, elle est une enfant perdue. Ils ne sont Allemands ni l’un ni l’autre et leur mutuel amour sera bouleversé par la guerre allemande. L’U-51 qui mène Levinski sur les mers commettre des assassinats qui le chagrinent, et le vilain métier qui mène Maria aux pires hontes, ce sont deux fatalités. Mais l’auteur n’a pas destiné son ouvrage à montrer que nos existences dépendent d’une puissance taquine ou cruelle. Qu’a-t-il montré ? Ces deux êtres et l’aventure qui les sépare, qui les rapproche et les réunit dans la mort.

Au temps du réalisme, nous aurions eu la description du sous-marin, des appareils, de la manœuvre. M. Gérard Bauër se contente de quelques indications nécessaires. Et, quand le sous-marin voyage en surface, M. Bauër ne décrit pas très longuement les paysages. Mais, en peu de mots, il peint les paysages et les âmes qui les