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Elle lui donne rendez-vous. Quelle femme ! Et qui bientôt le tutoie, et qui parle français comme en plein Montmartre dans les cabarets de nuit ; leçons de Lili ! Et, la suite, si je la racontais, je copierais cent pages de M. Pierre Benoit : cent pages que l’on ne peut résumer ; car elles sont un résumé tout à fait extraordinaire d’événements si drus, si fortement liés qu’il n’en faut pas ôter un seul, ou bien tout se détraque. Mais, au palais de l’Herrenhausen, le cadavre de Kœnigsmark fut mis dans la chaux derrière une plaque de cheminée : voilà ce qu’ont révélé à Vignerte les archives de Lautenbourg. Alors, il songe à voir un peu ce qu’il y a, derrière les plaques de cheminées, à Lautenbourg. Il découvre de la chaux et, dans la chaux, un tibia : une manie de ces vieux châteaux de l’Allemagne électorale et galante ! Ce tibia, regardez-le, porte une marque de fracture ancienne. Or, le défunt grand-duc Rodolphe, un jour, s’était cassé la jambe : Vignerte le sait par la Grande-duchesse. Alors, c’est le tibia de Rodolphe. Et Rodolphe n’est pas mort en Afrique. Rodolphe est mort à Lautenbourg. Qui l’a tué ? N’en doutez pas : Ulrich de Boose, l’amant de la Grande duchesse. Et la Grande-duchesse n’a-t-elle point envie d’examiner le tibia ? Vignerte l’amène, la nuit, par des corridors sombres, à la cheminée intéressante. Mais le grand-duc Frédéric-Auguste, — n’est-ce pas lui qui a fait tuer son frère ? et Ulrich de Boose, son homme d’action, n’était pas l’amant de la grande-duchesse, — le grand-duc a mis le feu à Lautenbourg. En peu de minutes, le château n’est qu’un brasier. De cette façon rude, le grand-duc anéantit le tibia de son frère, les archives indiscrètes, maints souvenirs et témoignages… Tout cela, M. Pierre Benoit le sait de Vignerte lui-même. Vignerte n’a donc pas succombé, dans l’incendie ? Que non ! Mais il a bien failli être tué en duel, — un duel atroce ! — par son rival auprès de la grande-duchesse, un von Hagen. Aurore est arrivée tout juste à point pour empêcher le combat : voire elle inflige à von Hagen trente jours de forteresse. Avant la fin des trente jours, il a quitté la forteresse et parait devant Aurore, qui se fâche : « Savez-vous qu’une chose, une seule, peut interrompre des arrêts infligés par moi ? — Je le sais, Altesse. — Et que cette chose est… — Est la guerre. » La guerre est déclarée, en effet. Quelle guerre ? va-t-on se demander. Mais la Grande guerre ; et nous sommes en 1915. Alors Vignerte ne pourra pas rentrer en France ? Mais si ! Car la grande-duchesse a promptement fait de l’emmener en automobile jusqu’à la frontière. Il passe la frontière ; il est chez nous ; il est lieutenant ; il se bat comme un parfait