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avoir le profil raidi, les sourcils froncés, le regard aigu, les lèvres minces, retirées sous la moustache courte, le menton obstiné, l’hostilité visible, l’air autoritaire, l’allure très allemande de ce diplomate pâle, qui passe vite, en redingote boutonnée et chapeau rond, mais que l’on n’eût pas été surpris, en d’autres temps, de rencontrer sous la tunique et le casque à pointe de la garde prussienne, où il fut effectivement lieutenant de réserve du premier régiment des grenadiers à pied. L’ancien ministre de Guillaume II à Copenhague, devenu le secrétaire d’État des Affaires étrangères de la Révolution allemande, est visiblement animé d’une passion intérieure qu’il a beaucoup de peine à maîtriser. Derrière cette Excellence socialiste, issue d’une authentique lignée de l’ordre équestre du Holstein, les quatre collègues du Herr Graf, apparemment pénétrés de l’idée de la hiérarchie qui les subordonne à un homme de caste féodale et d’ancien régime, nous montrent des figures de bourgeois « sozialdemokrates » ou d’intellectuels du Vorwaerts, peu connus hors de leurs groupements professionnels et qui, portés sur la scène politique par l’avènement de Friedrich Ebert, « président d’empire, » de David, de Scheidemann et des autres représentants du socialisme impérial, n’ont pas tardé à prendre le pli des anciens fonctionnaires du Kaiser. L’un d’eux a une grosse barbe rousse. Un autre se fait remarquer par un costume digne des touristes que dessina le crayon de Hansi.

La porte vitrée de la salle du Congrès s’ouvre à deux battants. Le doyen des huissiers du ministère des Affaires étrangères annonce d’une voix forte, bien timbrée :

— Messieurs les plénipotentiaires de l’Empire allemand.

Le comte de Brockdorff-Rantzau et ses collègues entrent d’un pas qu’ils essaient d’affermir, regardant fixement devant eux, vers la table vide, qui est réservée à leur délégation. Le personnel de leur secrétariat, composé surtout de professeurs et de conseillers de cour ou de commerce, leur service de presse, leurs interprètes sont là, au fond de la salle, déjà installés devant une table recouverte d’une étoffe rouge. Les plénipotentiaires ennemis reconnaissent leurs places, marquées sur le drap vert de leur table, par six petits carrés de carton, portant ces mots calligraphiés : Délégation allemande. Ils vont s’asseoir sur leurs chaises cannées, lorsqu’ils s’aperçoivent que tous les assistants, d’un mouvement spontané, se sont levés. Alors, sans avoir l’air de bien comprendre le sentiment qui nous dicta ce geste de silencieuse dignité, ils restent un instant debout et s’inclinent devant l’assemblée, qui ne donna pas en vain cet exemple de haute politesse.